Tous les drapeaux . XYZ
L'Agenda Ironique de novembre 2024 est organisé par lyssamara sur son blog ici.
Le thème de l'AI est la lumière, sauf l'électrique.
L'histoire devra commencer par « Le père et la mère de … habitaient un château, au milieu des bois, sur la pente d’une colline. »
Et contenir les mots, pompon, tango, lignage, s’évanouir et s’accoutumer.
Le père et la mère de la princesse Aurore habitaient un château, au milieu des bois, sur la pente d’une colline. La princesse Aurore était de haut lignage, son père et sa mère étaient le roi et la reine du royaume d'Absurdie. Cela ne les empêchait pas de veiller avec amour sur leur petite fille et de régner sur leur royaume avec sagesse et équanimité...
Momo se réveilla en sueur. Dans son cauchemar, le début de son livre lui tournait en boucle dans la tête. Il alluma la lampe de son bureau et la lumière inonda son bureau. Il bougea la souris pour rallumer l'écran de son ordinateur qui s'était mis en veille. Cela faisait des semaines qu'il travaillait sur ce livre, mais les idées ne venaient plus. Avec angoisse, il se demanda :
- Est-ce aujourd'hui que j'aurai l'idée géniale qu'il me manque ?
Il avait des pistes qui s'amorçaient dans sa tête, mais il les rejetait systématiquement dans l'ombre, car elles ne passaient jamais le contrôle d'intérêt et d'originalité qu'il leur imposait.
Il se prit à rêver. Et si mon roman devenait un best-seller et s'il récoltait des prix un peu partout sur la planète.
Mais au terme se sa réflexion, son PC n'était toujours qu'une page blanche, ou plutôt un écran noir.
Au bout d'une demi-heure, voyant qu'il n'avançait pas, il s'octroya une petite pause « réseaux sociaux », il savait qu'il y coulait un flot d'immondices, mais il s'y était accoutumé. Que s'était-il passé depuis hier, peut-être allait-il y trouver l'idée fantastique qu'il cherchait vainement depuis des semaines.
Mais l'inspiration ne vint pas toujours pas. Vers midi, il était passé des réseaux sociaux à un jeu débile et addictif en ligne, Snake. Il était un serpent, qui devait manger d'autres serpents et à chaque fois qu'il en mangeait un, il grossissait et devenait plus redoutable. Mais il n'avait invariablement pas écrit une seule ligne.
Sa copine Yuja, l'appela :
- Momo, c'est prêt, tu viens manger.
Mais Momo ne le pouvait pas. Il était complètement dans sa partie de Snake et était en passe d'atteindre le niveau 47.
- Une minute mon amour, je crois que je tiens une super idée, il faut que je la note tout de suite avant de l'oublier.
Vers treize heures, Momo se fit exploser au niveau quarante-huit de Snake. Une odeur de brulé avait envahi tout le rez-de-chaussée, elle montait maintenant jusqu'à son bureau. Il descendit manger.
- On dirait que cela a un peu cramé, remarqua-t-il finement.
- Alors là, c'est le pompon, répondit-elle sèchement, je t'attends depuis une heure et tu t'étonnes que cela sente le brulé.
- Excuse-moi, répondit-il un peu gêné de sa maladresse, j'étais encore dans mon roman.
- Et c'était quoi ton idée géniale, lui demanda-t-elle.
- Non en fait, cela n'a rien donné, c'était incohérent avec la suite de l'histoire.
- Tu sais, ton éditeur a appelé, il te rappelle que tu devais lui livrer ton manuscrit au plus tard la semaine dernière.
Momo réfléchit puis, ne voyant aucune issue, décida de lui avouer la vérité.
- Je n'ai pas écrit une ligne ce matin, ni depuis une semaine, je n'ai plus d'idées.
Sa déception passée, Yuja se ressaisit et décida de l'aider dans son travail.
- On peut réfléchir ensemble, lui proposa-t-elle. Et s'il y avait une guerre avec un pays voisin ?
- Impossible, le roi a ratatiné tous les pays voisins au chapitre I, il a monté une muraille de dix mètres de haut tout autour du royaume.
- Et s'il y avait un mouvement social type gilet jaune, bonnet rouge ou chemises brunes, on pourrait faire un mouvement de protestation qui s'appellerait les chaussettes tango ?
- Impossible avec les chapitres II et III, répondit Momo. Au chapitre II, on a racheté le big data des compagnies téléphoniques et des fournisseurs d'accès à Internet. Au chapitre III, le roi a acheté sur Shein un logiciel de traitement des données. Dès qu'un citoyen a un taux de déviance qui dépasse cinq pour cent, il est nuitamment exfiltré de chez lui et envoyé dans un camp de sensibilisation à la démocratie.
- On pourrait sans doute faire quelque chose de plus intimiste. Et si la princesse Aurore faisait une colère ou refusait de manger ses petits pois. Le précepteur pourrait lui donner une fessée ?
- Impossible, il s'agirait d'une violence physique. Le roi se doit d'être exemplaire.
- Il suffirait peut-être de la gronder ?
- Impossible, cela constituerait délit de violence psychologique incompatible avec notre civilisation moderne.
C'est alors que Momo eut une illumination.
- Et si un serpent apparaissait et commençait à manger tous les habitants du pays. Il pourrait grossir en les mangeant et devenir de plus en plus énorme, ce serait terrifiant. Les gens pourraient s'évanouir rien qu'en le voyant.
... Le serpent avait maintenant mangé tous les habitants du royaume. Il était désormais gigantesque, plus de quatre lieues de long. Il ne restait plus que le château du roi et ses habitants. Il entra dans le château en mangeant le pont-levis et la herse d'une seule bouchée. Comme il ne pouvait rentrer dans chaque bâtiment, il commença à les manger un par un. Les cuisines avec les cuisiniers, les écuries avec les palefreniers, la salle de garde avec les soldats. Le donjon avec les serviteurs de la famille royale et tout le reste du personnel.
Il ne restait maintenant plus que le roi, la reine et la princesse Aurore. Ils se tenaient debout, face au serpent, dans la cour principale du château.
- C'est votre tour, dit le serpent.
- Oui, je crois que c'est le mieux pour tout le monde comme cela, répondit la princesse.
Et il les avala.
John Duff, novembre 2024
L'Agenda Ironique d'octobre 2024 est organisé par La Licorne sur son blog Filigrane.
Le thème de l'AI est « Esprit es-tu là ? ».
Quelques mots pour agrémenter les textes, calinotade, escogriffe, paperasser et cacochyme.
Et parsemer le texte de plusieurs expressions contenant le mot " esprit ".
Maurice d'Espinardi, dit Momo, naquit en 1431. Il n'avait pas de talents particuliers, mais son esprit mal tourné, l'orienta vers la profession d'inquisiteur. Au cours des années, à force de brûler, découper et d'estropier les gens, de l'enfant à peine pubère au vieillard cacochyme, il acquit une solide réputation dans le métier.
Un jour, à Rouen en 1431, une sorcière qu'il était en train de brûler lui lança une malédiction.
- Puisses-tu brûler toi-même en enfer, fils de Satan !
Sur le coup, Momo n'y prit pas garde, mais il y repensa quelques années plus tard, quand après être mort d'une fluxion de poitrine, il comparut au Ciel.
- Ta place n'est pas ici, lui dit-on. Tu n'as pas servi le bien, mais le mal. Retourne sur terre et ne revient que quand tu en seras digne.
Et Momo retourna sur terre. Ne connaissant que le métier d'inquisiteur, il se proposa de conseiller ses collègues ayant des lacunes avérées. Il ne s'était pas aperçu qu'étant lui-même un esprit, il était devenu le mal qu'il avait cherché à extirper des hérétiques durant toute sa vie terrestre.
Lorsque le métier d'inquisiteur tomba en désuétude, il enchaîna les petits boulots. Il travailla un temps à l'opéra Garnier où il eut même sa loge, mais la pendaison malheureuse d'un machiniste l'obligea à déguerpir.
Il passa alors son temps à répondre aux suppliques et aux vœux que les gens faisaient dans les églises ou en regardant passer les étoiles filantes. Malheureusement, son esprit pervers le poussait à accorder les choses demandées, mais sans que l'on puisse en tirer profit.
Par exemple, si le patron d'une agence de voyage mettait un cierge pour avoir du beau temps toute la saison, il mettait tellement de soleil que personne ne pouvait sortir et que des incendies terribles ravageaient tout le pays.
Un jour, en passant dans une ruelle mal famée, une affichette sur une fenêtre attira son attention.
VOYANCE, CARTOMANCIE, DIVINATION
Madame YUJA
Travail efficace et sérieux
Je règle tous vos problèmes d'argent, de santé, d'amour avec spécialisation de retour de l'être aimé, protection contre les sorts, chance au jeu, perte de poids, allongement du pénis.
- Voilà un programme bien alléchant, se dit Momo. Allons voir dedans ce qu'il s'y passe.
La maison était composée de deux pièces, une salle d'attente avec quatre chaises qui donnait sur un petit salon sans fenêtres avec une moquette grenat et des tentures rouges aux murs. Au milieu de la pièce une table avec une boule de cristal et deux chaises. Deux bâtons d'encens contribuaient à l'ambiance.
Il s'intéressa ensuite à la propriétaire des lieux, Yuja était une ancienne élève du conservatoire de piano, elle avait abandonné ses études qu'elle trouvait trop dures et s'était lancée dans la voyance en espérant gagner de l'argent sans trop travailler. Malheureusement son bizness ne fonctionnait pas du tout.
Yuja passait son temps à attendre les clients en paperassant ses notes sur la manière de prédire l'avenir. Momo fut horrifié par son amateurisme et sa faiblesse d'esprit. Son manque d'esprit de compétition faisait qu'elle n'arrivait pas à impressionner ses clients et elle prédisait en dépit du bon sens.
- Il faut que je fasse quelque chose, se dit-il. Les gens comme cela détruisent la profession.
Le premier client de la journée arriva vers quinze heures, Momo l'avait déjà vu à la télévision. C'était militant politique, un grand escogriffe suprémaciste, fasciste, révisionniste. En bref, un très antipathique.
Au lieu de le laisser se mettre en condition dans la salle d'attente, Yuja qui l'avait vu arriver se précipitait déjà pour le faire entrer.
- Pas si vite mignonne, dit Momo qui bloqua la poignée de la porte entre le salon et la salle d'attente.
Le Monsieur entra et s'assit sur la première chaise. Il était un peu interloqué par la poignée de la porte qui bougeait toute seule. Il ne se doutait pas que derrière, Yuja s'escrimait sur la poignée ne comprenant pas pourquoi elle n'arrivait plus à ouvrir la porte.
Au bout d'un quart d'heure, Momo relâcha la poignée, la porte s'ouvrit tout d'un coup et Yuja se trouva propulsée au milieu de la pièce. Elle faillit s'étaler de tout son long, mais elle eut la présence d'esprit de se rattraper à une chaise.
- Bonjour monsieur, dit Yuja, si vous voulez entrer.
Le client s'installa sur la chaise du côté de l'entrée et Yuja s'assit en face de lui.
- Comment vous appelez-vous.
- Monsieur Toupine.
- Pourquoi venez-vous me voir ?
- Je suis dans la politique et je me présente aux prochaines élections. Je souhaiterais qu'il arrive un malheur à l'autre candidat, un accident, une maladie, peut-être même un suicide si ce n'est pas trop cher. En fonction de ce que vous me proposerez.
- Bien, commençons par invoquer les esprits. Après quelques secondes de méditation, Yuja déclama d'une voie qu'elle voulait lugubre :
- Esprit es-tu là ? Si tu es là, frappe trois fois.
Momo vit qu'elle allait actionner aussitôt le mécanisme secret sous la table qui lui permettait de toquer sans les mains. Il bloqua aussitôt le mécanisme pour laisser le temps à l'ambiance de s'installer.
Au bout d'une minute, il frappa le premier coup, puis le deuxième et le troisième. Dans le même temps, il baissa la température de la pièce qu'il fit passer à seize degrés, un courant d'air glacé traversa le salon.
Un peu interloquée, Yuja arrêta de s'escrimer sur le mécanisme de toquage. Qui avait frappé les trois coups ? Cela ne pouvait tout de même pas être le client ? Elle y réfléchirait plus tard, il lui fallait maintenant enchaîner.
Elle alla chercher un sac en velours noir qu'elle posa sur la table.
- Dans ce sac, il y a des lettres, je vais les mélanger. Vous allez en tirer une poignée puis les poser sur la table à l'envers. Vous allez ensuite les aligner, puis les retourner.
Quand M. Toupine eut aligné et retourné les lettres, il était inscrit :
- Arrête la politique connard.
M. Toupine explosa de colère et traita Yuja de tous les noms. Quand il sera maire, il allait fermer son salon. Yuja terrifiée bredouilla.
- C'est le hasard, cela n'arrive jamais, je suis désolée, cela ne compte pas, on va refaire un tirage.
Elle ramassa prestement les lettres et les remis dans le sac. Elle les mélangea ensuite pendant dix minutes et tendit le sac à M. Toupine. Celui-ci remélangea les lettres pendant cinq minutes. Il retira une poignée de lettres qu'il posa à l'envers sur la table, il remélangea encore les lettres tirées sur la table et les aligna.
Lorsqu'il les retourna, il était maintenant écrit :
- Arrête la politique, sale connard.
Puis, les lettres se réarrangèrent toutes seules.
- Si tu persistes dans cette voie, voilà ce qu'il va t'arriver.
Et, puisant dans ses longues années d'inquisition, Momo lui présenta un florilège de son savoir-faire. M. Toupine se vit dans la boule de cristal en train de brûler et d'être dépecé vif. Il hurla de douleur ressentant les flammes et les outils qui lui arrachaient la peau.
M Toupine avait compris, il sortit sans rien dire d'un pas hésitant, il avait renoncé à la politique.
Yuja était terrifiée, elle n'avait jamais envisagé l'astrologie avec de vrais esprits.
Momo refrappa trois coups sur la table. Les lettres se réarrangèrent une nouvelle fois.
- Arrête l'astrologie Yuja, arrête tes calinotades, reprend le piano. Tu procureras plus de joie et de bonheur à toi et au monde qu'en faisant ce métier.
Ce que fit Yuja. À raison sans doute puisqu'elle finit par avoir un certain succès dans la profession.
Maurice d'Espinardi n'en sut jamais rien. En haut lieu, on avait décidé qu'il s'était racheté et on l'avait rappelé.
John Duff, octobre 2024
L'Agenda Ironique de septembre 2024 est organisé par Jean-Louis sur son blog Tout l'opéra ou presque.
Le thème de l'AI est « les chansons de l’échanson ».
Quelques mots pour agrémenter les textes, vistemboir, saxifrage et sigillographie, ainsi que l’expression « le diable est dans les beffrois ».
On était vendredi soir et la semaine avait été complètement pourrie. L'atelier de sigillographie tournait au ralenti, il avait plu tout le temps et le chef de Momo avait été exécrable. Il n'avait qu'une idée en tête, se changer les idées. Avec quelques copains, ils avaient décidé de passer la soirée à l' « Échanson 3000 », une nouvelle boîte de karaoké qui avait ouvert quelques mois auparavant.
Momo chantait très faux, en acceptant cette soirée, il se projetait beaucoup plus clairement dans la partie « boisson » que dans la partie « chanson ».
La soirée commença, paisiblement installés derrière sa pinte, Momo écoutait les chanteuses et les chanteurs. Il s'intéressa assez vite à la petite DJ qui mettait les chansons et animait le karaoké.
- Elle est, ma foi, fort mignonne, se disait-il. Mais comment lui faire savoir ?
À dire vrai, Momo n'était pas le seul à lorgner vers la DJ. Toute la gent masculine rivalisait de sourires, d'esprit et de pectoraux pour s'en attirer les bonnes grâces. Mais elle se jouait de toutes ces avances en laissant tout espérer à chacun, mais sans jamais rien accorder de sérieux.
La DJ était devenue le principal sujet de conversation. Il se renseigna et apprit qu'elle s'appelait Yuja, qu'elle était chinoise, qu'elle était au conservatoire de piano et qu'elle payait ses études en faisant des piges dans cette boîte de karaoké.
Yuja se promenait entre les tables avec son micro. À un moment, un chanteur qu'elle venait de féliciter pour sa prestation, tenta de se faire récompenser d'un baiser. Yuja l'éconduit en riant, mais comme il insistait un peu lourdement, elle promit qu'elle embrasserait le chanteur ou la chanteuse qui ferait la meilleure prestation de la soirée.
Cela devint aussitôt l'objectif principal de Momo.
- Mais comment faire ? Se disait-il.
Il réfléchit pendant plusieurs pintes à ce problème, mais sans parvenir à lui trouver de solution. S'il avait le malheur d'ouvrir la bouche, il se ferait interrompre avant la fin de sa chanson par les sifflets de la salle. Il serait grillé à perpétuité pour Yuja.
La soirée avançait, une grande partie de la salle, tous ses copains avaient déjà chanté une ou plusieurs fois. On commençait à rechercher de nouvelles voix.
Ce furent les copains de Momo qui commencèrent à scander traîtreusement :
- Momo, Momo, Momo !
La DJ se tourna vers lui et lui adressa un sourire qui le liquéfia.
- Un nouveau candidat, comment tu t'appelles ?
Avec effroi, Momo répondit, mal à l'aise.
- Momo.
- Eh bien Momo, tu veux nous chanter quoi ?
Il y avait une liste de chanson qui défilait sur l'écran, il n'en connaissait aucune.
Tout à coup, son regard accrocha un titre qui lui laissa apercevoir une porte de sortie « The song of silence », avec un peu de chance, cette chanson n'aurait pas de paroles.
- Celle-là, dit-il en la montrant du doigt.
- Excellent choix, enchaîna Yuja. C'est une de mes chansons préférées, ne me déçoit pas Momo.
Une musique de guitare commença. Avec effroi, Momo vit apparaître des paroles en anglais.
- Hello darkness, my old friend
- I've come to talk with you again
L'anglais avait été l'un des pires cauchemars de sa scolarité. Il eut l'impression que tous les professeurs d'anglais qu'il avait poussé à la retraite anticipée revenaient se venger et lui faire payer les avanies qu'ils avaient subies.
Il commença à fredonner.
- Lalala la lalala
- Lalala la lalala
Et le public commença à rire.
- Chut dit Yuja. Le voyant en difficulté, elle commença à chanter en sourdine pour le soutenir.
Momo essaya de l'accompagner, mais les notes qui sortaient justes de la bouche de Yuja se transformaient en affreuses faussetés dans la sienne.
Il fallait faire quelque chose, Momo s'arrêta de chanter. Il prit une fleur dans le bouquet de saxifrages qui décorait la table et la mit dans le petit vistemboir portatif qu'il avait toujours sur lui.
Le public s'était tu, intrigué par le manège de Momo. Celui-ci se leva et commença à se déplacer lentement vers Yuja en slamant une improvisation :
Attention, le diable est dans les bécoteurs froids,
Fuis toujours, Yuja, fuis toujours avec effroi,
Les dragueurs, les frimeurs et les pauvres flambards
Qui se croient fascinants, mais disent des bobards,
Te font des promesses, mais ne pensent qu'à eux.
Jette un regard vers moi, je suis respectueux,
je chante faux comme le nain de Zelimski,
Mais mon âme surpasse celle d'un marquis.
Un amour de nain ne finit pas toujours mal,
Belle et bête ont connu un amour idéal.
Je te couvrirai d'or, de diamants, de bijoux,
Si tu me laisses poser mes lèvres sur ton cou.
Je t'offre la quiétude et la félicité,
Si je peux effleurer ta sensualité.
Il était maintenant arrivé juste en face de Yuja. Il prit dans son vistemboir la saxifrage et lui mit sous le nez en continuant.
Cette fleur, peut-être ne fait pas la fière
Mais les montagnards la surnomme : perce-pierre *
Des fleurs des montagnes, elle monte le plus haut **
Je peux t'y emmener, notre amour sera beau.
Yuja ferma les yeux pour sentir la saxifrage. À la troisième inspiration, elle ne trouva que les lèvres de Momo.
- Il a bien mérité cela, se dit-elle. Et elle l'embrassa.
John Duff, septembre 2024
* authentique
** On en trouve à plus de 4 000 m
L'Agenda Ironique de juillet et août 2024 est conjointement organisé par moi-même pour les consignes et tiniak pour l'hébergement, les commentaires éclairés, les échanges et le soutien technique sur son blog poLétique et tocs.
Le thème de l'AI est la chute, chute dans l'escalier, chute d'eau, chute des prix ou chute de rein...
Quelques mots pour agrémenter les textes, tout d'abord, camembert (le fromage des rois, le roi des fromages), Un mandarin et sa mandarine sont les bienvenus. Enfin, les mots, Sinémurien, ouroboros et conchoïdale.
Il serait amusant qu'un des personnages porte un marcel. Enfin, il serait intéressant d'utiliser une locution latine, si besoin contrefaite.
Les textes sont à déposer chez tiniak jusqu'au 24 août à l'adresse ci-dessus.
Qu'il en soit remercié jusqu'à la septième génération.
Momo et Yuja pagayaient comme des fous dans leur canoë.
Derrière eux, les pirogues des guerriers indigènes les rattrapaient. Déjà, quelques flèches partaient des pirogues et tombaient dans l'eau dans le sillage du bateau. Bientôt, ils seraient à portée de ces flèches empoisonnées et des sagaies.
Momo mit le gros sac à dos derrière lui pour les protéger, cela faisait un bien piètre bouclier.
Les pirogues se rapprochèrent encore, les flèches tombaient maintenant autour du bateau, une sagaie se ficha dans le sac, Momo sentit l'impact et quelque chose qui se cassait dans le sac, mais pas le temps de faire un constat, l'important était de sauver leurs vies.
Ils s’aplatirent dans le fond du bateau, ne laissant dépasser que leurs yeux et leurs bras pour ramer. Bizarrement, malgré leur position très incommode pour pagayer, le bateau ne ralentit pas.
- Il faut aller vers le centre de la rivière, dit Yuja, il y a plus de courant.
Ce qu'ils firent, l'écart se stabilisa, puis peu à peu, se mit à augmenter. Ils remarquèrent que les flèches se faisaient plus rares, moins précises.
On les a semés, dit Momo en jetant un coup d’œil au-dessus du sac derrière lui.
Effectivement, les sauvages avaient abandonné la poursuite. Ils avaient rejoint le bord du fleuve et criaient leur colère et leur désir de vengeance avec leurs tam-tams rageurs.
Momo et Yuja essoufflés ne pagayaient plus, ils se contentaient de garder leur pirogue dans l'axe du courant.
Momo ouvrit le sac pour en faire l'inventaire. Il contenait de la nourriture, un camembert, des mandarines et surtout, la relique qu'ils avaient volée aux indigènes, une statue d'Ouroboros en obsidienne. C'est celle-ci qui avait reçu la sagaie et qui s'était cassée avec des éclats conchoïdaux. Il remit les morceaux dans le sac, pas le temps de pleurer.
- On doit accoster avant d'arriver aux chutes, dit Momo. Dans la jungle, ils iront plus vite que nous. Il faut mettre un maximum de distance entre nous et les anthropophages, s'ils nous rattrapent, nous serons cuits et mangés au court bouillon.
Ils continuèrent de filer pour creuser l'écart, mais le courant augmentait et il devenait difficile et dangereux de garder leur pirogue dans l'axe du courant.
- Je crois qu'on arrive aux chutes, dit Momo. Il faut absolument que l'on s'arrête maintenant.
Ils repérèrent une petite plage sans trop de fond et commencèrent à s'en rapprocher. Arrivés à dix mètres de la rive, impossible d'accoster. Une colonie de crocodiles se prélassait au soleil, attendant patiemment qu'un des singes mandarins dans les arbres au-dessus d'eux fasse l'erreur de s'approcher trop près.
Voyant la pirogue de Momo et Yuja, ils se désintéressèrent aussitôt des mandarins pour saliver vers ce nouveau repas autrement profitable. Ils les observèrent d'un air féroce. Certains même plongèrent dans l'eau et vinrent à leur rencontre.
- Il faut accoster de l'autre côté, dit Yuja, c'est trop dangereux par là.
Ils entreprirent de retraverser la rivière, mais celle-ci était devenue très large. On n'entendait plus les tam-tams, ils étaient remplacés par le grondement sourd du fleuve qui rendait difficile leur communication.
- On n'aurait jamais dû voler leur totem, dit Yuja, c'était de la folie.
Quand ils parvinrent de l'autre côté du fleuve, des gros rochers créaient des tourbillons, des arbres tombés dans l'eau présentaient des branches qui menaçaient de les empaler s'ils passaient trop près. Il n'était pas possible d'accoster non plus.
Ils repartirent vers le centre du fleuve, mais le courant se faisait de plus en plus rapide, le bruit était assourdissant.
Il n'y avait plus que le fleuve devant eux, une barre d'eau occupait tout l'horizon. Le courant était tellement rapide qu'ils ne pouvaient qu'essayer de ne pas se chavirer.
- Adieu Yuja, dit Momo, excuse-moi de t'avoir entraînée dans cette galère.
- Adieu Momo, répondit Yuja, avec toi, je ne me suis jamais ennuyée.
Momo lâcha sa pagaie et prit la main de Yuja, la barre d'eau disparu d'un seul coup et ils se retrouvèrent en apesanteur.
Les chutes étaient derrière eux, cent mètres de vide sous eux. En bas, on apercevait quelques rochers noyés dans des gerbes d'écumes. Il n'y avait plus rien à faire qu'à attendre.
Toujours cabotin, Momo ne put s'empêcher de finir sur un bon mot :
- Nunc est bibendum, dit-il.
Ce qui, dans son latin approximatif, signifiait :
Quel dommage que nous ne soyons pas des bibendums.
- Cave ne cadas *, répondit plus finement Yuja.
Momo se réveilla en sursaut, arrosé par l'eau que Yuja venait de lui jeter à la figure :
- Ça va pas, s'écria-t-il.
- Allez, viens te baigner, répondit-elle. Cela fait trois heures que tu cuis au soleil, tu vas attraper une insolation.
Momo retira son marcel trempé. Son corps était tout blanc et, au-delà de la marque de son débardeur, ses bras, son cou et son visage étaient rouge vif. Yuja éclata de rire.
- Tu es rouge comme un mollusque du Sinémurien.
Momo se leva d'un bond.
- Si je t'attrape, je te noie, répondit-il. Il se mit à la courser pour la pousser dans la piscine.
John Duff, juillet 2024
* Prends garde de ne pas tomber
L'Agenda Ironique de juin 2024 est organisé par Sabri Na sur son blog Entre les lignes.
Elle nous propose de mettre à l’honneur des gens ordinaires, un matin de changement.
Mais il faudra dans tous les cas, créer au moins une locution introuvable (à la manière de l’OULIPO) à partir d’expression et locutions déjà connues (ex : avoir la tête dans le guidon + la balle est dans ton camp = avoir la tête dans ton camp… ou la balle est dans le guidon…).
Le parcours initiatique de nos êtres ordinaires se retrouvera semé de quelques obstacles à placer : porte-fenêtre / whisky / discorde / toupet / perce-neige / bouilleur de cru (vraiment dans mon dico)…
Il pourra être ajouté en début ou bout de course, cette phrase, toujours tirée de mon dictionnaire d’idiomes : « J’en suis reconnaissant.e car je sais maintenant où regarder pour répondre à l’inévitable question […] ça va encore durer longtemps ? »
J’en suis reconnaissant à Momo et Yuja, car, grâce à eux, je sais maintenant où regarder pour répondre à l’inévitable question :
« Un tiens vaut-il mieux que l'eau du bain ? »
Je vais vous raconter dans quelles circonstances je l'ai compris.
Momo et Yuja étaient un couple bohème. Elle était musicienne et se destinait à être concertiste, mais, en attendant la gloire, elle donnait des cours de piano. Momo était conducteur de pelleteuse artistique et créait de merveilleuses sculptures avec son engin.
Par un beau week-end de février, ils avaient été faire une randonnée en montagne pour découvrir les premiers perce-neige (Galanthus woronowii) de la saison. Après une journée de marche, ils les avaient trouvés à près de 1500 m d'altitude. Ils redescendaient maintenant vers leur maison, fatigués et heureux.
Rentrés chez eux, Yuja avait prestement grillé la politesse à Momo pour filer se décrasser.
Présentement, elle se délassait en prenant un bain. La chaleur de l'eau était agréable, en fermant les yeux, elle se prit à imaginer ses futurs concerts, Carnegie Hall, le Concertgebouw d'Amsterdam… La foule en délire qui allait l'applaudir debout sur les fauteuils en hurlant son nom.
Pendant ce temps, Momo attendait son tour en sirotant un whisky dans le salon.
Il regardait le ciel par la porte-fenêtre, le soleil descendait lentement. Quand il atteignit les fils d'électricité et de téléphone qui dépassaient au-dessus de sa haie. Momo arriva au fond de son verre, il se resservit pour accompagner la descente de Râ. Il guettait le moment où le soleil se coucherait derrière sa haie.
Mais sa bouteille fut vide bien avant. Il trouva cependant un vieux fond de calva que son cousin de Normandie lui avait fait parvenir. Ce n'était pas du légal, le paysan qui avait un privilège de bouilleur de cru en distillait « hors-quota », le taux d'alcool n'était pas vraiment légal non plus.
Quand il eut terminé cette bouteille aussi, il avait chaud aux oreilles, mais Yuja n'était toujours pas sortie. Il se dit qu'elle exagérait.
- Ça va encore durer longtemps ? Cria-t-il.
Réveillée en sursaut, Yuja lui en voulut d'être tirée si brutalement de son rêve.
- Tu as du toupet, hier, tu es resté trois heures sous la douche, lui répondit-elle avec une mauvaise foi de professionnelle.
Momo était d'un naturel plutôt calme, mais il ne supportait pas trop bien l'injustice et l'alcool. Il partit d'un pas hésitant vers la salle de bain et ouvrit la porte que Yuja n'avait pas verrouillée.
Il se planta devant la baignoire.
- Sors de là, lui dit-il.
- Ça ne va pas, répondit Yuja, fâchée de l'attitude de Momo. Elle se recula dans le fond de la baigoire.
- Sors de là tout de suite, répéta Momo en tendant la main et lui attrapant le bras.
Yuja tira pour se dégager, mais, comme Momo ne la lâcha pas, il bascula sur le bord de la baignoire et s'étala de tout son long dans une gerbe d'eau qui vida la baignoire et inonda toute la salle de bain.
Momo but une bonne tasse d'eau savonneuse et s'étrangla en la recrachant. Cela le dessaoula complètement. Il savait qu'il s'était mal comporté, mais répugnait à l'admettre.
Voyant son air penaud et réalisant qu'il n'était que mouillé alors qu'il aurait pu se faire très mal, Yuja éclata de rire.
- J'ai pris mon bain, dit-elle en souriant, et tu as aussi pris le tien.
- Mais reconnaît que j'ai été plus rapide que toi, répondit Momo. Puis, observant que la baignoire était vide, il dit sentencieusement :
- Un tiens vaut mieux que l'eau du bain.
Retirant ses habits mouillés, il rejoignit Yuja dans la serviette pour se sécher, la discorde était oubliée.
John Duff, juin 2024
L'Agenda Ironique de mai 2024 est organisé par Jobougon sur son blog L'impermanence n'est pas un rêve.
Il nous propose de personnifier le mot « Liberté » et de lui faire traverser moult tribulaventures en inventant des noms de lieux et personnages dans le style du livre poétique de René d'Anjou "Le Livre du coeur d'amour épris".
Il faudra inclure au moins deux jurons bien tournés dans un langage tout aussi poétique que fleuri.
Il était une fois, dans un lointain royaume d'Extrême-Orient, un roi et une reine qui attendaient un enfant. Quelque temps plus tard naquit leur petite fille, ses cheveux étaient noirs comme l'ébène, ses lèvres rouges comme le sang et son teint jaune comme le citron.
Les fées furent conviées à son baptême.
La première lui dit, tu te nommeras « Liberté », tu ne te soumettras à l'autorité de personne et tu feras toujours tes choix selon ton cœur.
La deuxième lui dit, ton second prénom sera « Beauté », et tu seras la plus jolie fille du royaume.
La troisième dit, ton troisième prénom sera « courage », tu lutteras toujours, même quand les causes te sembleront désespérées.
Le bon roi se prépara pour aller à l'état civil déclarer sa fille, Liberté - Beauté - Courage (que nous appelerons Liberté par simplification), quand la fée Caramusk, qui n'avait pas été invitée, entra par la fenêtre.
Tu auras un quatrième prénom, dit-elle, ce sera « Malheur ».
Par superstition, le roi ne déclara pas ce quatrième prénom à la mairie, mais quand il en revint, sa femme, la douce Cunegonde, avait chopé une cochonnerie et était alitée. Il fit venir les meilleurs médecins du royaume, mais rien n'y fit. Sa femme continua de péricliter et mourut dans le mois.
- Rognetudju, se dit le roi, cette malédiction est terrible.
Il entreprit d'élever seul Liberté. Celle-ci grandit et devint la plus jolie jeune fille du royaume. Quand elle eut quinze ans, au hasard de ses promenades et dans les journaux télévisés, elle découvrit la laideur du monde, elle découvrit, les Musks, les Poutines et les Trumps, elle découvrit la misère que ces monstres engendraient et en fut profondément attristée.
- Je ne peux rester sans rien faire alors que tant de gens souffrent, se dit-elle.
Elle prit de l'or dans les coffres de son père et partit sur les routes. Lorsqu'elle voyait un malheureux, elle le réconfortait par des paroles et lui donnait quelques pièces d'or.
Le bruit parcourut rapidement le royaume qu'une princesse, belle comme le jour, sillonnait le pays et aidait les plus démunis. Les gens accourraient de partout pour la rencontrer. Les plus démunis pour de l'aide, les jeunes hommes simplement pour la voir.
Il y eut bientôt tellement de monde tout le long de la route, que, lorsqu'elle passait, on aurait dit la caravane du Tour de France. À ce rythme, l'or qu'elle avait pris dans le coffre de son père fut rapidement épuisé. Elle retourna se réapprovisionner, mais son père lui dit :
- Corneguidouille ! Ma toute belle, il faudrait voir à y aller mollo, tu dégrades mon BFR et mon Trésorier Principal va me faire la gueule.
- Mais il y a encore tant de malheureux dehors, dit-elle.
- C'est non, répondit le roi. Je te donne une dernière cassette d'or, mais quand tu l'auras dépensée, il faudra que tu gagnes tes écus toi-même.
Le mort dans l'âme, Liberté reprit la route. Mais elle ne savait rien faire. Les princesses ne sont éduquées que dans l'art de faire des sudokus, jouer à Candy Crush ou à la Switch. La princesse Liberté jouait également du piano.
Au bout du troisième jour, la cassette était vide. Le quatrième jour, elle vendit ses bagages. Le cinquième jour, elle vendit son carrosse. Le sixième jour, elle vendit ses chevaux. Le septième jour, elle vendit ses belles robes.
Le huitième jour, elle n'avait plus rien, elle fut obligée de prendre les hardes d'un épouvantail dans un champ pour se vêtir.
Elle se fit embaucher par un paysan pour ramasser des salades. Elle cueillit des tomates à Cor-Bubulae, des cornichons au Saut-de-la-Cloche, du raisin à Rubicond-les-Vignes. Elle se fit embaucher à la guinguette de Bourg-les-Dames pour jouer du piano.
Mais l'argent qu'elle gagnait suffisait à peine à la nourrir, il ne lui restait quasiment rien à distribuer. Parfois, c'était pire, c'était de pauvres hères, qui écroutonnait pour elle leur quignon de pain moisi, ou, lorsqu'il gelait, lui partageait un morceau de leur manteau.
Mais Liberté n'était pas abattue, sa quête avait toujours un sens. Elle s'était aperçue que, même si elle n'avait plus de pièces d'or à distribuer, ses mots, sa compassion faisait autant de bien. Par-dessus tout, elle adorait sa formidable liberté qui lui faisait faire des si belles rencontres.
Elle parvint un jour aux confins du royaume et entra sans le savoir dans le royaume voisin de Vagharshor qui était en guerre contre son père. En traversant la forêt des Trois-sorcières, elle tomba dans une chasse à courre organisée par le prince Maurice de Vagharshor (dit Momo), le fils du roi.
Le cerf était à bout, acculé contre un rocher, il se battait à grands coups de bois pour écarter la meute, mais devant le nombre, l'issue semblait inéluctable. Plusieurs chiens avaient déjà réussi à esquiver les bois et avaient planté leurs crocs dans le cerf.
- Quelle malédiction, se dit la princesse, où que j'aille, le malheur me précède et frappe tous ceux que j'aime, mes efforts pour faire le bien se terminent lamentablement par une situation encore pire. Je ne peux rien faire.
Le cerf regarda vers la princesse et une larme coula sur sa joue, le cœur de la princesse explosa de tristesse et de révolte.
Elle ne réfléchit pas, n'écoutant que son courage et méprisant les conséquences possibles de son acte, elle se jeta au milieu de la meute. Elle n'avait qu'un bâton et des cailloux pour se défendre, mais elle se mit à côté du cerf et commença à essayer de repousser les féroces chiens.
- Quelle est cette gueuse qui vient gâcher mon hallali pensa d'abord le prince.
Mais il fut vite subjugué par cette jeune fille qui se sacrifiait sa vie pour une cause désespérée, pour une bête qu'elle ne connaissait même pas. Elle ne méritait pas de mourir et avait bien gagné la vie du cerf. Il demanda aux piqueurs de rappeler leurs chiens.
- Qui es-tu, demanda le prince, de quel droit te permets-tu d'interrompre ma chasse ?
La princesse avait deviné qu'elle se trouvait dans une contrée ennemie, peut-être même hors de l'UE. Si elle était reconnue, ce serait l'incident diplomatique, elle risquait même d'être prise en otage et de servir de monnaie d'échange.
Le son des cors qui sonnaient la fin de la chasse lui fournit un nom d'emprunt : youuuuuyouuuuuujaaajajayoujaaajayouja.
- Je m'appelle Yuja dit-elle.
Le prince nettoya le sang qui recouvrait son visage, il vit le plus joli visage du monde et reconnu la fille du roi en guerre contre son père.
- En prenant en pitié ce cerf, tu as montré ta bonté, en te jetant au milieu de la meute, tu as montré ton courage et en nettoyant le sang qui te recouvrait, j'ai découvert ta beauté.
Ils tombèrent amoureux immédiatement.
- Viens avec moi, je vais te présenter à mon père Au lieu de nous combattre, unissons nos royaumes.
Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants.
John Duff, mai 2024
L'Agenda Ironique d'avril 2024 est organisé par Jérôme sur son blog Carnet Paresseux.
Il va falloir parler de poisson et d'une maison ou d'un lieu clos. Il faudra utiliser les mots : taxiphone, Vierzon, rhubarbe et paresse. Il faudra également utiliser les phrases « d’ici à là, y a quoi, tu crois ? juste assez, où presque… » et « Xénophon rapporte qu’Alexandre pleura quand il eut achevé la conquête du monde. Tamerlan et Attila, eux, pas une larme. »
Catastrophée, Yuja découvrit le sujet de l'examen :
« Xénophon rapporte qu’Alexandre pleura quand il eut achevé la conquête du monde. Tamerlan et Attila, eux, pas une larme. »
À partir de cette remarque de Xénophon, expliquez en quoi, la philosophie grecque diffère de celle des barbares venus d'Asie.
Apparemment, il fallait comparer les réactions de plusieurs personnes face à une situation donnée.
- Quel sujet débile ! Pensa-t-elle.
Elle connaissait vaguement Attila, elle savait qu'il commandait les Huns et qu'il mangeait des steaks presque crus qu'il faisait cuire sous la selle de son cheval. Mais les autres ? Elle n'en avait jamais entendu parler.
Elle maudit sa paresse et sa passion pour le piano qui lui avait fait jouer des sonates de Chopin au lieu de réviser son écrit de français.
Bien que la salle d'examen soit pleine, elle avait l'impression d'être seule sur une île déserte. Sa première idée fut de regarder les petits bouts de papiers supplétifs qu'elle avait cachés dans la doublure de sa jupe en prévision de cette épreuve.
Le premier papier contenait la liste des présidents de la Cinquième République, carrément hors-sujet. Le second donnait la recette de la tarte à la rhubarbe, aucun rapport non plus. Le troisième papier était beaucoup plus intéressant, c'était une liste des racines grecques et de leurs significations.
- Je suis peut-être sauvée, pensa-t-elle.
Commençons par Xénophon, de xéno (l'étranger), et de phon (la voix). La voix à l'étranger, qu'est-ce qui porte la voix à l'étranger, le téléphone, il y a forcément un rapport avec la téléphonie. C'était quoi l'ancêtre du smartphone ? Sans doute le taxiphone, conclut-elle.
Étudions Alexandre, d'alekso (protéger) et andro (l'homme), la protection de l'homme. Les larmes sont certainement une allégorie de la pluie. En remettant dans l'ordre, cela donne :
« L'homme se protège en utilisant une cabine de taxiphone pour appeler à l'étranger lorsqu'il pleut. »
Voyons maintenant qui se cache derrière Tamerlan. Aucune racine grecque ni latine, il faut interpréter au premier degré. Tamerlan, c'est un tas de merlans. La seconde partie de la phrase pourrait signifier :
« Attila a conquis le monde en mangeant des steaks crus et beaucoup de poissons. »
En rassemblant les deux parties, cela donne :
« Utiliser une cabine de taxiphone lorsqu'il pleut permet d'éviter la pluie.
Par contre, manger des steaks crus et beaucoup de poissons permet de conquérir le monde. »
Cela n'avait pas beaucoup de sens.
Elle voulut contacter Momo pour savoir si ce sujet l'inspirait. Il était placé deux rangés sur sa gauche, légèrement devant elle. Comment communiquer, la table juste derrière Momo était libre. Elle eut l'idée d'aller aux toilettes puis de revenir se rasseoir discrètement derrière Momo, si les pions étaient distraits, cela pouvait passer... Mais à la réflexion, c'était trop risqué.
Elle envisagea alors de lui envoyer des boulettes de papier avec ses commentaires et évalua la distance entre eux.
- D’ici à là, y a quoi, à vue de nez, environ trois mètres, estima-t-elle. C'était jouable, sauf que, entre les deux se trouvait Vierzon, le pire fayot de la classe. Sûr que s'il recevait une boulette dans la figure, il alerterait immédiatement les surveillants.
En dernier recours, elle décida d'utiliser sa montre connectée.
- Tu en es où, demanda Yuja ?
- Pour moi, Alexandre représente la macédoine et Attila le steak bleu. C'est la lutte entre le véganisme et les mangeurs de viande.
- Tu n'y es pas, répondit Yuja, j'ai traduit le texte, cela donne :
« Utiliser une cabine de taxiphone lorsqu'il pleut permet d'éviter la pluie.
Par contre, manger des steaks crus et beaucoup de poissons permet de conquérir le monde. »
C'est l'opposition entre l'hédonisme et le stoïcisme.
- C'est quoi la différence entre les deux ?
- Vaut-il mieux rechercher son plaisir immédiat ou bien se fixer des règles de conduite qui nous apporteront des contraintes mais qui, au final, nous apporterons le bonheur. Quand tu t'abrites dans un taxiphone parce qu'il pleut, tu cherches ton plaisir immédiat. Si tu te fixes des règles de vie inhumaines comme manger du poisson ou de la viande pas cuite, cette rigueur t'apportera le bonheur et t'emmènera beaucoup plus loin.
- C'est complètement tordu, répondit Momo, mais pour moi, la réponse est évidente. J'ai déjà trouvé mon plan, je vais dire que le mieux c'est l'hédonisme. Mais que malheureusement, c'est une utopie, parce que jamais les parents et les profs ne nous laisseront tranquilles.
- Fais gaffe, répondit Yuja, tu ne peux pas répondre cela, car en fait, c'est une question piège, elle n'a pas de réponse. Tu dois commencer pas dire que l'hédonisme, c'est sympa, après, tu dis que le stoïcisme c'est pas mal non plus et pour conclure, tu dis que chacun fait comme il le sent.
- Tu crois que ce sera suffisant ?
- Oui, c'est juste assez, où presque, parce que évidemment, il faut trouver quelques exemples pour illustrer ce que tu dis.
Moi, je vais dire qu'improviser au piano, c'est ma nature hédoniste, apprendre le solfège, c'est mon éthique stoïque. La conjugaison des deux me permettra de devenir la plus grande pianiste du monde.
John Duff, avril 2024
L'Agenda Ironique de mars 2024 est organisé par Jean-Louis sur son blog Tout l'opéra (ou presque).
Le thème de mars sont les créatures fantastiques. Il faudra utiliser les mots, calenture (délire furieux observé chez les marins au moment de la traversée des zones tropicales et s'accompagnant d'un désir irrésistible de se jeter à la mer), dictame (Plante aromatique, variété d'origan) et phénakistiscope (jouet optique donnant l'illusion du mouvement).
Lorsque Momo s'éveilla, il s'attendait à se trouver entouré de personnes attentives et prêtes à intervenir en cas de problème. Malheureusement, lorsqu'il regarda autour de lui, il était seul.
- Zut, pensa-t-il.
Il savait ce que cela signifiait. Il s'était réveillé avant que le vaisseau spatial ne soit arrivé à destination. Il referma les yeux en espérant que ce ne soit qu'un rêve. Trois minutes plus tard, quand il les rouvrit, il constata que ce n'en était pas un.
Cela signifiait qu'un problème s'était produit, menaçant la sécurité du vol Terre-CFBDSIR 2149. Cette expédition devait durer de nombreuses années et les passagers avaient été mis en hibernation pendant la durée du voyage. Une IA gérait l'expédition. Elle avait le rôle, en cas d'anomalie, de réveiller le passager qu'elle pensait être le plus apte à résoudre le problème.
Il prit une grande respiration et se remémora le protocole pour débrancher tous les tubes et fils qui le reliait à la machine de survie. Une demi-heure plus tard, il était libre. La première chose à faire était d'aller consulter la sauvegarde du journal automatique de vol, la « boîte noire » du vaisseau spatial.
Ils étaient partis le 29 janvier 2024, on était le 29 novembre 2039, cela faisait cinq mille sept-cent-cinquante-deux jours (terrestres) qu'ils étaient partis. Ils étaient tellement loin de la Terre, qu'il était vain d'essayer de communiquer avec elle pour avoir une analyse ou des suggestions pour résoudre le problème.
Il commença par éplucher les rapports d'alertes pour savoir ce qui avait provoqué son réveil. Les capteurs avaient enregistré de la chaleur et du mouvement dans une soute sous atmosphère neutre contenant des plantes et des animaux mis en vie ralentie pour le voyage. Ce pouvait-il qu'un animal se soit réveillé ?
Si c'était cela, ce n'était qu'un incident mineur. Ces animaux étaient destinés à être élevés dans la colonie humaine de CFBDSIR 2149. Un de plus, un de moins, quelle importance. Le plus important était la sécurité des mille passagers qui allaient rejoindre ceux des vingt-trois navettes précédentes.
Mais un détail le glaça, la date de l'alerte n'était pas celle du jour, elle remontait à plus d'un an. C'était un passager immatriculé 4379 qui avait été réveillé pour résoudre le problème. Et, il y en avait eu beaucoup d'autres ensuite.
Il fit défiler les alertes avec son doigt sur l'écran. D'abord une par une, puis de plus en plus rapidement. Les alertes défilaient comme dans un phénakistiscope avec une partie qui semblait fixe et d'autres qui scintillaient d'une annonce à l'autre. Il constata effaré que ces alarmes s'étaient déjà produites plus d'une centaine de fois. Une centaine de spationautes avait déjà été réveillée, aucun d'eux n'était là à son réveil, où étaient-ils passés ?
Chaque alerte se terminait sans plus de précisions par un :
- Fin de l'alerte.
Il décida d'aller observer le compartiment où avait été détecté la chaleur et le mouvement. Il ne remarqua rien de spécial. Il actionna de l'extérieur un bras mécanique qui servait à déplacer les containers. Il prit la première caisse venue, des graines de dictame, la leva au plafond et la laissa se fracasser par terre, il n'obtint aucune réaction.
Il s'équipa alors d'un scaphandre de survie extérieure. Il n'y avait pas d'éclairage dans la soute, cela était inutile pour transporter des bestiaux congelés et des plantes. Il alluma la lampe frontale de son scaphandre et pénétra dans la pièce.
Curieusement, alors que tout l'espace aurait dû être occupé, il y avait de la place. Il crut voir une silhouette sur sa droite et tourna la tête dans cette direction. Mais la forme s'estompa aussitôt pour réapparaître sur la gauche, à la limite de son champ de vision. Il tourna encore la tête, mais la forme s'effaça de nouveau. Au bout de plusieurs essais infructueux, il comprit que ce n'était pas la bonne méthode. Il lui fallait renoncer à voir la créature de face. Il lui fallait regarder légèrement à côté, tout en la gardant à la limite, mais dans son champ de vision.
Ce qu'il fit en éclairant plus vers le sol et en fixant son regard à côté de la créature mystérieuse. Il put alors l'observer.
La partie supérieure, qui était la plus dans l'ombre, était un corps de femme. Pour autant qu'il puisse s'en rendre compte, des yeux légèrement bridés et un petit nez lui donnaient un air asiatique. Le bas du corps qui était éclairé disparaissait et s'estompait sur du vide comme une queue de poisson.
La lumière aussi faisait fuir la créature, il décida de baisser la lumière de son scaphandre. Plus il la baissait, plus l'obscurité se faisait dans la pièce. Paradoxalement, plus la créature semblait visible, plus ses contours devenaient nets. Il fit un pas de côté et en regardant dans une autre direction et il réussit à se rapprocher encore plus près de la sirène. Il était maintenant à un moins d'un mètre d'elle, dans un noir quasi absolu.
Il savait que c'était une erreur, mais il éteint complètement sa lampe et attendit, rien ne se passa.
Comme un crabe, il se décala le plus doucement possible vers la créature et leva sa main vers elle.
Cela lui fit comme un choc électrique, sa main avait touché une peau tiède. Elle ne réagit pas, mais une musique envahit le casque de Momo. C'était une musique céleste, comme du piano.
Au bout d'un moment, Momo bougea sa main sur la peau et devina un bras. Celui-ci tressaillit et le tempo de la musique accéléra.
Momo promena alors sa main sur tout le corps et s'aperçut que ses caresses faisaient varier non seulement le tempo, mais l'intensité et les harmonies.
Au bout d'un moment, il s'aperçut que cette musique n'était pas aléatoire, il sentait qu'elle évoluait, comme si elle voulait lui passer un message. Une progression lente mais inéluctable l'emmenait vers un but inconnu.
Une alerte oxygène retentit dans son casque, il n'avait plus que cinq minutes de réserve et devait sortir de cette salle pour remplir sa bouteille.
- Cinq minutes, c'est bon se dit Momo, il lui fallait moins d'une minute pour sortir de la salle. Il continua son exploration du corps de la sirène.
Quatre, trois, deux, un, zéro.
- Oxygène épuisé, sortez immédiatement, ordonna l'IA. Mais Momo, pris de calenture, n'écoutait plus rien.
- Je peux retenir ma respiration deux minutes, pensa-t-il.
Il avait deviné la note finale, mais il lui fallait maintenant l'entendre. Il la sentait qui arrivait dans une tension qui s'exacerbait, il lui fallait aller jusqu'au bout, quel qu'en soit le prix.
Danger, dépassement de trois minutes, cinq minutes... continuait de l'exhorter l'IA.
Et le si bémol explosa emplissant tout l'espace.
Momo exhala son dernier souffle dans une apothéose d'extase et de bonheur.
- Fin d'alerte, consigna l'IA sur le journal de bord.
John Duff, mars 2024
Et si vous voulez voir des sirènes sur les drapeaux. Cliquer sur les images pour les voir dans leur contexte.
L'Agenda Ironique de février 2024 est organisé par photonanie.
Le défi de février, c'est d'écrire une pièce de théâtre, au moins un acte. Les didascalies (informations sur des éléments que les répliques ne permettent pas de connaître) sont les bienvenues.
Il faudra introduire un zeugme (le mot est bizarre, mais c’est assez simple. Pour vous guider, je vous propose un exemple de Pierre Desproges: Après avoir sauté sa belle-sœur et le repas du midi).
Enfin, il faudra intégrer les mots : ponceau, sardonique, kathisophobie et fichtre.
ACTEURS
Morice POLIN dit "Momo" Maestro, pianiste virtuose
YUJA Élève de Momo
MARIUS Élève de Momo
Les spectateurs
Marius est jaloux et envieux et souhaite prendre la place de Momo. Au cours des actes I et II, il a saboté un concert de son maître en cachant une punaise sous la toile de sa banquette. Momo, gravement blessé au popotin, souffre maintenant de kathisophobie et ne peut plus jouer de piano.
Acte III, scène 2
Momo
Ô rage ! Ô désespoir ! quelle peur m'a soumis !
Qu’ai-je donc fait au ciel, pour subir l'infamie ?
Et que m'a-t-on cueilli, tressé tous ces lauriers,
Pour ces opus superbes, issus de mon clavier,
Que pour voir en un jour, cette malédiction,
Flétrir toutes ces fleurs, comme une extrême onction.
Mes mains, qu’avec respect les mélomanes admirent,
Mes mains, qui tant de fois ont su vous éblouir,
Tant de fois affirmé mon pouvoir, votre émoi,
Trahissent mon génie, ne font plus rien pour moi.
Je ne peux plus m'assoir, sans être dévasté,
Je dois rester debout, mettre à bas ma fierté.
Ô cruel souvenir de ma gloire passée !
Effacée en un jour, que s'est-il donc passé ?
Yuja
J'ai vu cette nuit, maître, un scélérat infâme,
Saboter votre banc, pour atteindre votre âme.
Vous recueillîtes hier, un véritable aspic,
Il vous frappe en riant, de son air sardonique.
Momo
Quoi Yuja, mon enfant, se peut-il que Marius
Aie voulu mon malheur, qu'a donc fait ce Brutus ?
Yuja
C'est la nuit du concert, au ciel la lune pâle,
Son obscure clarté qui tombe dans la salle,
Me fit voir Marius entrer subrepticement,
Par la fenêtre ouverte, dans le bâtiment.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue,
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue,
Je reconnus Marius et ses yeux redoutables,
Il fit d'un clou pointu, un guet-apens coupable.
Il a piégé votre banc, stratagème infâme,
D'un médiocre jaloux, pour ruiner votre fâme.
Momo
Yuja, as-tu du coeur ?
Yuja
Je vous le prouve sur l'heure.
Momo
Viens, ma fille, viens, mon sang, viens réparer ma honte,
Viens me venger.
Yuja
Comment faut-il que je l'affronte ?
Momo
Ce piano que mes mains ne peuvent faire frémir,
Je le remets aux tiennes pour venger et punir.
Va contre un arrogant éprouver ton talent,
Il ne doit revenir, qu'abattu, pantelant.
Acte III, scène 3
Yuja, Marius
Yuja
À moi, Marius, deux mots.
Marius
Parle.
Yuja
Ôte-moi d’un doute.
Connais-tu bien Momo ?
Marius
Oui
Yuja
Parlons bas, écoute.
Sais-tu que c'est ton Dieu, tu lui dois une statue,
Qu'il t'enseigna sonates, fugues et impromptus ?
Marius
Peut-être.
Yuja
Cette aisance que dans mon jeu, je porte,
Sais-tu que c’est son art, le sais-tu ?
Marius
Que m’importe !
Yuja
Au clavier, je te le fais savoir.
Marius
Jeune envieuse !
Yuja
Parle sans t’émouvoir, je ne suis pas morveuse.
Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées
Le talent n’attend pas le nombre des années.
Marius
Te mesurer à moi ! qui t’a rendu si vaine,
Toi qui ne joues pas mieux, qu'une triste baleine.
Yuja
Quand tu le veux, je te défis, sur Beethoven.
Marius
Ce n'est pour moi qu'une tisane de verveine.
Que dirais-tu de l'Héroïque de Chopin ?
Yuja
Fichtre, c'est de la poudre de perlimpinpin,
Tu trembles, craindrais-tu, espèce de macaque,
La grande Toccata en Ré Mineur de Bach ?
Marius
Foutaises que cela, je te mettrai au sol,
Sur un air de Ravel, le Concerto en sol.
Yuja
Mais connais-tu au moins, marionnette de toc,
Les Trois Etudes opus dix-huit du grand Bartok.
Marius
Va pour un marathon, pianiste catastrophe,
Les cinq longs concertos du tsar Rachmaninov.
Yuja
Cuistre, je te propose une autre mazurka,
Tout Mozart pour piano et pour harmonica.
Marius
Je relève le défi, rendez-vous demain.
Pour corser le pari, ne jouons que d'une main.
Acte III, scène 4
Changement de décors. Nous sommes maintenant dans une salle de concert.
Côté cours, des musiciens que l'on ne voit pas, mais on voit Momo les dirigeant avec une baguette. Côté jardin, des spectateurs. Au centre, deux pianos où sont installés Marius et Yuja.
Momo (aux spectateurs)
Chers amis, le temps est venu de vous quitter,
Vaincu par la peur, j'abandonne la cité.
Blessé au fond du cœur, et à mon postérieur,
Je dois quitter la scène, place à mes successeurs.
Je vous ai réuni pour les départager.
Moi, je ne le peux plus, car je suis trop âgé.
Et chacun tour à tour, un morceau ils feront.
Et au meilleur des deux, tous vos suffrages iront.
Regardez sous vos bancs, des chiffres vous avez,
Allant de un à dix, c'est vous qui choisirez.
À chaque morceau mettez, la note qu'il mérite,
Le gagnant de vos votes, de mon renom hérite.
(Marius joue son morceau de musique, les spectateurs applaudissent)
Les spectateurs
Bravo, bravo, quel jeu, voyez comme il nous bluffe.
Assurément, cet art, mérite au moins un neuf ?
(Yuja joue son morceau de musique)
Les spectateurs
Bravissimo, quel jeu, rendons-lui la justice,
C'est encore supérieur, il faut lui mettre dix.
Acte III, scène 5
Marius, Yuja, Momo
Marius
Je reconnais l'échec, et je subis l'affront,
Le ponceau de la honte est monté à mon front.
La cause de ma défaite était ma félonie.
Point de pardon pour moi, je pars, je me bannis.
Momo
Quand tu brisas mon corps, tu as flétri ton âme ;
Un navire n'avance plus, s'il a cassé ses rames.
Mais des remords sincères peuvent toujours te sauver,
Va, je ne te hais point, tu peux te relever.
Yuja
Si le maître te pardonne, je peux le faire aussi
Ton regret est sincère, et tu t'es adouci,
Formons un grand duo, et partons en maraude,
Et maintenant buvons, car l'affaire était chaude.
(Rideau)
John Duff, février 2024
L'Agenda Ironique de janvier 2024 est organisé par tiniak sur son blog poLétique et tocs.
Le thème, c'est l'ouverture. Il faudra intégrer les mots : bigophone, flamberge, marguerite, mousse et pampre, parangon, védique.
Et également la phrase: " Par la fenêtre ouverte, force est de constater…”.
Les histoires d'amour finissent…
Momo travaillait dans une société sise dans la tour Flamberge à la Défense. Depuis quelque temps, il flashait sur Yuja, une petite Chinoise qu'il croisait parfois dans l'ascenseur. Lui s'arrêtait au vingt-troisième étage, elle montait plus haut, peut-être au ciel ?
Dès qu'il la voyait, le cœur de Momo s'emballait et ses mains devenaient moites. Cette fille, c'était un parangon de Vénus, mieux, c'était Lakshmi, la déesse védique de la beauté. Il souhaitait la séduire, mais ne savait pas comment l'aborder. Elle lui semblait si lointaine et indifférente qu'il était sûr de ne récolter qu'une fin de non-recevoir.
Sauf que, un jour, en prenant l'ascenseur, Momo eut l'impression qu'elle lui esquissait un sourire.
Sur le coup, il ne réagit pas, tellement il était estomaqué. Il s'en voulut toute la journée, il était à la fois enthousiaste d'avoir eu une marque d'intérêt et il s'en voulait à mort de n'avoir pas su répondre à ce sourire. Quel cornichon il était.
Il fallait à tout prix renouveler cette expérience. Il fallait qu'ils se croisent de nouveau dans l'ascenseur. Dès lors, il décida de mettre en place une stratégie de rapprochement.
Lui arrivait au travail entre 7 h 30, lorsqu'il tombait du lit, et 8 h 30, lorsque le métro était en panne ou en grève. Par la fenêtre ouverte de soixante minutes, force est de constater qu'il avait peu de chances de la croiser. Le premier point de son plan fût de déterminer vers quelle heure elle arrivait à son travail.
Le meilleur moyen de le savoir était de l'attendre, discrètement bien sûr. Il pourrait ainsi déterminer à quelle heure il devait arriver pour optimiser la probabilité de leur rencontre. Le lendemain, il vint au travail vers 7 h 30 pour être sûr de ne pas la rater.
La tour Flamberge avait un hall d'entrée avec six ascenseurs, deux rangées de trois face-à-face.
Où se mettre. S'il restait au milieu des ascenseurs, c'était mort. À cette heure, la tour se remplissait de centaines de personnes et le va-et-vient des ascenseurs était incessant. S'il restait là, il y aurait toutes les trente secondes une âme charitable qui lui tiendrait la porte ouverte avec un sourire niais en l'invitant à entrer. Pour la discrétion, il pouvait repasser.
Il décida de rester un peu à l'écart et de guetter l'arrivée de Yuja de la cafétéria.
À 7 h 47, Yuja entra par la porte vitrée centrale de la tour. Sans s'arrêter, elle se dirigea directement vers les ascenseurs et entra dans celui de droite. Momo accéléra son mouvement d'approche vers l'ascenseur. Malheureusement, celui-ci était déjà plein et Momo arriva devant des portes qui se refermèrent devant lui. Raté, il appuya sur le bouton d'appel et attendit le suivant.
Il renouvela sa manœuvre les jours suivants, jusqu'au jour où…
Jusqu'au jour où, dans une petite robe imprimée de raisin, de pampres et de feuilles de vigne, elle était là. Son cœur fit un bond dans sa poitrine, ils attendaient ensemble l'ascenseur. Il s'agissait de ne pas gaffer. Comme il était entré du côté des boutons, il se permit de lui adresser la parole :
- Quel étage ?
- Vingt-quatrième, répondit-elle avec un sourire.
Momo était aux anges, il venait d'obtenir un renseignement d'une valeur inestimable.
Le lendemain, il se permit d'enfoncer le clou.
- Vingt-quatrième, lui proposa-t-il avec un sourire complice.
- Oui merci.
Trois jours pus tard, lorsqu'il sortit de l'ascenseur, il osa un :
- À demain.
Un grand sourire lui répondit :
- À demain à vous aussi.
Il réussit à reproduire ce moment d'extase à plusieurs reprises. Une fois même, à cette heure de grand trafic, Momo se plaça astucieusement pour que la foule qui entrait les pousse doucement l'un vers l'autre, ce qu'elle fit gentiment. Ils étaient maintenant presque à se toucher, mais, pas de chance, il était arrivé au vingt-troisième étage.
- À demain.
Il s'acquittait avec plaisir de ce rôle de groom particulier, mais comment aller plus loin ?
Il était assez difficile de lui dire qu'elle avait des beaux yeux dans un ascenseur bondé. Il était impossible de lui effeuiller une marguerite devant dix paires d'yeux qui attendaient avec indécence le résultat de ce déshabillage. Il était inadapté de l'accompagner jusqu'au vingt-quatrième et de l'aborder, peut-être en présence de ses collègues. Cela aurait pu être gênant, pour elle et pour lui.
Il se résolut donc à la rencontrer le soir après le travail. Lorsqu'il quitta son travail, il resta dans le hall à guetter l'ascenseur. Elle en sortit à 17 h 17.
Le lendemain, il prit donc l'ascenseur à 17 h 15 au vingt-troisième. Quand l'ascenseur s'arrêta, personne. Du moins, pas de Yuja.
Arrivé au rez-de-chaussée, il ré-appuya à tout hasard sur le bouton pour remonter au vingt-troisième. La chance, ça se provoque, nom d'une pipe !
Arrivé à l'étage de son bureau, il tomba sur un collègue qui l’apostropha.
- Hé Momo, t'as oublié quelque chose ou tu viens faire des heures sup.
- Quel con, j'ai oublié mon bigophone.
Il l'aurait étranglé. Il fit semblant d'aller le chercher dans son bureau. Quand il reprit l'ascenseur, c'était trop tard, l'ombre jaune était passée.
Il décida donc de l'attendre au rez-de-chaussée. Une fois de plus, trois jours plus tard, vers 17 h 20, le miracle se produisit. La porte de l'ascenseur s'ouvrit et Yuja apparut.
Il était suffisamment proche des cages d’ascenseur pour qu'elle puisse croire qu'il sortait de l’ascenseur d'en face. Ils se dirigèrent tous les deux vers l'entrée de la tour.
Momo chercha une remarque spirituelle, pour attirer son attention, mais rien ne venait.
- Encore une de finie, tenta-t-il. Il regretta immédiatement, c'était trop tartignole.
Mais, contre toute attente, la Chinoise répondit.
- Oui, ça fait du bien.
Ils se dirigèrent ensemble vers la sortie. Dehors, il pleuvait à verse, il faisait très sombre, presque noir. Remarquant qu'ils n'avaient ni l'un ni l'autre de parapluie, Momo eut un coup de génie.
On ne peut pas sortir maintenant, on va se faire tremper. Je vous offre quelque chose à boire à la cafétéria en attendant que cela se calme.
- Oui, je veux bien, accepta Yuja.
Yuja prit un thé, Momo se prit une petite mousse.
Et la suite de l'histoire, me direz-vous. Ma foi, elle n'est pas encore écrite.
Finir son histoire n'était pas dans les contraintes de ce mois-ci. Quoique, après janvier, c'est février. Et février, c'est le mois de la Saint-Valentin, tous les espoirs sont donc permis.
John Duff, janvier 2024
L'Agenda Ironique de décembre 2023 est organisé par La Licorne.
Le thème, c'est l'attente de Noël, l'Avent. Il faudra intégrer les mots : Juliette, mètre, vespéral, surenchérir, péroreur, guipure et buissonnière.
Et également la phrase: "La mémoire est comme le dessus d'une cheminée. Pleine de bibelots qu'il sied de ne pas casser, mais qu'on ne voit plus.".
Décembre ou les 24 jours de Julia
Les parents désiraient un enfant, mais n'arrivaient pas à en avoir. En désespoir de cause, ils avaient adopté une petite Chinoise, Yuja. Par une bizarrerie de la nature, un petit frère, Momo, était arrivé peu de temps après.
Ils formaient maintenant une famille unie. Pauvres mais honnêtes, les parents essayaient d'élever leurs enfants dans le droit chemin, mais les temps étaient difficiles.
Le père était éboueur, il rapportait parfois de sa tournée des objets ou de la nourriture non périmée pour subvenir aux besoins de sa famille. Pour Noël, il avait pris l'habitude d'offrir à ses enfants des cadeaux récupérés dans les poubelles, elles en regorgeaient les jours suivants Noël. Des invendus, des jouets reçus en doubles, ou simplement des jouets qui n'avaient eu l'heur de plaire à des petits bourgeois. Cela arrangeait tout le monde. Pour les parents, c'était une économie sur le budget de la famille, pour les enfants, il y avait une profusion et une variété de jouets que peu d'autres enfants avaient.
Le plus gros problème se produisait les 3 ou 4 jours qui suivaient Noël, lorsque tous les autres enfants avaient reçu leurs cadeaux et que Momo et Yuja attendaient encore les leurs. Tant qu'ils étaient petits, cela ne posait pas de problèmes, l'univers se bornait à la maison, Noël arrivait quand il arrivait.
Quelques années plus tard, les parents avaient commencé à ruser. C'était avant l'ère des portables, les parents leur faisaient croire le 25 décembre qu'on n'était que le 21. Ils s'aidaient pour cela d'un calendrier de l'avent qui était astucieusement distribué le 5 décembre et donc, qui se terminait le 29. Le compte à rebours de ce calendrier trafiqué fixait Noël sans contestation possible le 29 décembre.
Mais les enfants continuaient de grandir. Yuja avait une copine, Juliette, avec qui elle passait des heures à papoter, jusqu'à parfois faire l'école buissonnière. Elle avait décidé qu'il fallait qu'on l'appelle Julia, à la fois pour ressembler à sa copine et pour franciser son nom. Ces discussions extra familiales avaient inévitablement fait ressortir l'anomalie d'un Noël qui arrivait plusieurs jours plus tôt chez son amie, les soupçons de fraude parentale s'intensifiaient.
Un jour donc, Julia, appelons-la comme cela pour lui faire plaisir, dit à sa maman.
- Juliette, m'a montré la poupée qu'elle a eue hier pour Noël, et nous, on ne l'a pas encore fêté.
Momo, qui était un péroreur-né, déclama à ses parents :
Avant que l'ombre vespérale,
Ne recouvre les cheminées,
Cessez ce supplice de Tantale,
Ne vous loupez pas cette année.
Ce à quoi les parents avaient expliqué que, comme Julia était née en Chine, le Père Noël passait le 25 à son ancienne adresse, puis, se rendant compte de son erreur, lui rapportait ses jouets en France, mais avec un délai de route de 96 heures.
- Dame, rendez-vous compte les enfants, la Chine, c'est l'autre bout du monde.
Mais, même ces arguties devenaient difficiles à faire passer. Vint un moment où la révolte éclata.
- On voit bien que toutes les horloges et les calendriers de la maison disent qu'on est le 22 décembre alors que les journaux dans le kiosque sont datés du 26 décembre. Vous êtes des menteurs et des tricheurs !
Les parents se regardèrent, résignés, la grande scène d'explication était inévitable.
- Tu vois Julia, tu es une grande fille, tu as l'âge de raison, il est temps maintenant de t'expliquer des choses qu'on ne dit pas aux petits enfants, te rappelles-tu ce que tu as eu à Noël l'an dernier ?
- La transcription pour piano de " Gretchen am Spinnrade ", répondit Julia.
Et Momo de surenchérir.
- Moi, j'ai eu une tente d'Indiens de plus d'un mètre de haut.
- Et de celui d'avant ?
- Un piano, une pelleteuse, répondirent Julia et Momo en chœur.
- Jusqu'à quand pouvez-vous remonter ?
- Je me les rappelle tous, pour mon premier anniversaire, j'ai eu une layette à guipure de soie, dit Julia.
- Est-ce que ce sont des bons souvenirs ?
- Ce sont mes meilleurs souvenirs.
- Tu vois Julia, la mémoire est comme le dessus d'une cheminée pleine de bibelots qu'il sied de ne pas casser. N'oublie jamais ces Noëls. Ils seront toujours là, dans ton cœur. Aujourd'hui, tu es choquée, mais dans vingt ans, ces quelques jours d'écart seront devenus des détails si insignifiants qu'on ne les voit plus.
Le plus important, c'est le souvenir que tu garderas de ces fêtes, car ces moments, c'est toi, c'est ton frère, ta famille, ton histoire. Ce sont ces souvenirs qui te construisent et qui feront de toi la femme que tu seras. Plus les souvenirs sont bons, plus tu seras une bonne personne.
- D'accord, répondit Julia, vous pouvez continuer à fêter Noël le 29 décembre, mais en contrepartie, on vous souhaitera la fête des pères et la fête des mères une semaine après aussi.
- Et sans intérêts moratoires, précisa Momo.
John Duff, décembre 2023
L'Agenda Ironique de novembre 2023 est organisé par Carnets Paresseux.
Il nous propose de faire des prévisions, voyances, pronostics, des prédictions, d’entrevoir des possibles, des souhaitables et des évitables, de promettre fortune, argent, richesse, santé, bonheur, espérances et tout le saint frusquin (mais aussi et symétriquement d’agiter le péril de la malencontre, de la déconfiture, de la chance qui passe sur le trottoir d’en face), bref de rédiger un horoscope, évidemment véridique, exact et irréfutable comme tout horoscope qui se respecte.
Techniquement, il pourra être basé sur la lecture des étoiles et des astres, de la marche de l’ombre des cailloux par terre, du vol des oiseaux ou du tarot ou tout ce que vous voulez, à votre guise, cet horoscope. Et puis quoi plus ? Il devra contenir les mots cheval, parapluie, souquenille, pingouin, tubéreuse et Vierzon.
Sous quelle forme, cet horoscope ? Comme vous le souhaitez : quatrain sibyllin, récit épistolaire, chanson, entrelardé au sein d’un dialogue, égosillé par une contraltote soutenue par un ostinato altier ou calligraphié d’une plume bien encrée, et même en forme d’horoscope ; si possible, avec quelques jours du calendrier (c’est le moins, pour un horoscope) et avec un brin d’ironie (idem).
Momo, héros des temps modernes
Momo, le patrouilleur star des autoroutes, était anxieux. Chacun de ses mouvements était suivi par dix caméras dont deux par hélicoptère. Des millions de téléspectateurs retenaient leur respiration. Dans quelques minutes, soit il entrerait dans l'histoire, soit il serait mort.
Il savait qu'il n'avait vécu toutes ces années que pour ce moment. Il était sûr de son habileté et de sa rapidité cependant, sa pianiste-astrologue, Yuja, lui conseillait de ne pas sortir aujourd'hui.
- Le mouvement rétrograde de Mercure entrainera ce jeudi dysfonctionnements et effondrements. Évitez de prendre des risques pendant cette période, car les conséquences ruineraient votre vie et feraient le malheur de vos proches. Elle pensait en elle-même, " et surtout le mien ", mais le dire comme cela n'aurait pas fait très pro.
Depuis le Panem et circenses des Romains, les hommes n'avaient pas changé, ils étaient toujours en quête de sang et d'adrénaline malsaine. Les corridas avaient été interdites quelques années plus tôt et les nouveaux jeux du cirque étaient assurés par les patrouilleurs d'autoroute. Leur quête était d'aller récupérer des objets, au risque de leur vie et devant les caméras du monde entier. Certes, les patrouilleurs ne vivaient pas vieux, mais ils bénéficiaient d'un prestige mondial. Momo était un de ces nouveaux gladiateurs.
Aujourd'hui, c'était son grand jour. Il devait aller chercher un matelas tombé d'un camion sur la cinquième voie d'une autoroute dans une courbe sans visibilité. De par la taille de l'objet et la dangerosité de l'endroit, c'était un exploit unique, une récup jamais tentée.
Il se rappela sa jeunesse à Vierzon. Encore en poussette, il demandait à sa nounou de traverser aux feux lorsque le pictogramme piéton était rouge. Pendant ses années de collège, il n'avait jamais traversé une rue dans un passage pour piétons.
Après son bac, il était entré à la prestigieuse SANEF (Société des Autoroutes du Nord et de l'Est de la France) pour apprendre le dangereux métier de patrouilleur d'autoroute.
Contrairement aux grandes écoles qu'il est très difficile d'intégrer, il est relativement facile d'entrer à l'école de la SANEF, mais simplement parce que l'écrémage se fait après. L'étudiant qui a intégré l'ENA, X ou HEC va généralement au bout de sa scolarité. Pour le métier de patrouilleur, c'est l'inverse. Moins d'un élève sur dix parvient au bout de son cursus, les autres finissent sur un pare-brise ou sous un poids lourd.
Diplôme en poche, il avait été nommé patrouilleur junior sur les deux premières voies de l'autoroute. Au bout de deux années, par ses brillants résultats, il avait été habilité à travailler sur la troisième voie. Trois ans plus tard, un record, il avait obtenu son habilitation « toutes voies ».
Dans le même temps, il passait ses diverses qualifications l'autorisant à travailler dans les conditions les plus difficiles. Qualification pour le travail de nuit, celle pour le brouillard et la qualification Ferrat pour travailler par nuit et brouillard. Il intégra ensuite la célèbre Patrouille de France, susceptible d'intervenir sur toutes les autoroutes, même à l’étranger, pour les opérations qui demandaient une technicité spéciale ou étaient particulièrement dangereuses.
Ce sont ces interventions qui étaient suivies en directe par des millions de personnes.
Il avait rencontré une admiratrice, Yuja, une pianiste-astrologue chinoise qui s'était amourachée de lui, c'était sa première et plus fervente admiratrice. Elle voulait arrêter le piano pour l'accompagner sur toutes les routes en tant qu'astrologue personnelle, mais Momo l'en avait dissuadé.
- Ma vie peut s'arrêter du jour au lendemain, disait-il, s'il m'arrive quelque chose, il faut que tu sois autonome. Tu peux me suivre, mais continue le piano.
Profitant de sa notoriété, il la faisait engager dans les salles de concert des villes qu'ils traversaient.
Ainsi, il l'avait fait engager au MET lorsqu'il avait travaillé sur l'Interstate 95 de New York, il lui avait trouvé un engagement à la Philharmonie de Paris quand il avait récupéré des gilets jaunes sur le boulevard périphérique, ou encore au Concertgebouw lorsqu'il avait ramassé une cargaison de tubéreuses sur le snelweg A10 d'Amsterdam.
Sur la bande d'arrêt d'urgence, Momo écoutait les voitures qui arrivaient à l'entrée de la courbe. Il ne les voyait pas, mais savait identifier chaque modèle et sa vitesse à l'oreille.
Après quelques minutes de guet, il reconnut une Porsche Cayenne au régime moteur relativement bas qui lui laissait trois secondes de répit. Il s'élança vers le muret central de l'autoroute, arrivé sur la quatrième voie, il s'aperçut en un éclair que la Porsche était précédée d'une Tesla qui filait en silence vingt mètres devant elle. Il avait déjà commencé son saut vers le muret central, il ferma les yeux et attendit. La Tesla ne passa qu'à quelques centimètres de son dos.
- Olé, hurlèrent les spectateurs.
- Saloperie de voiture, pensa Momo.
Debout sur le muret central, il analysa la situation pour déterminer le meilleur moyen de récupérer le matelas.
- Le mieux c'est de faire plusieurs étapes, réfléchit-il, je vais d’abord déplacer le matelas sur la quatrième voie, puis la troisième et ainsi de suite jusqu'à la bande d'arrêt d'urgence.
Profitant d'une accalmie, il attrapa le matelas de chaque côté, le leva et le jeta sur la quatrième voie, il recula aussitôt pour se remettre à l'abri.
Une ovation salua cet exploit.
La deuxième étape était plus difficile, il fallait maintenant passer le matelas de la quatrième à la troisième voie. Il partit d'un bond jusqu'au matelas, le leva, mais trop tard. Deux voitures, une BMW X6 et une Lamborghini Diablo qui se tiraient la bourre arrivaient côte à côte sur les quatrième et cinquième voie, impossible de revenir sur le muret central. Sans réfléchir, à l'instinct, Momo fit face à la Lamborghini et sauta vers elle, tenant le matelas collé sous lui en essayant de le mettre le plus à horizontal possible.
Le nez de la Lamborghini passa sous le bord du matelas, puis, comme un coin, passa en dessous et l'envoya à quatre mètres de hauteur. Après une espèce de looping, Momo toujours à cheval sur son matelas atterrit sur le deuxième voie et continua en roulé-boulé jusqu'à la bande d'arrêt d'urgence.
Un hurlement s'échappa de tous les téléviseurs devant cet exploit. Cette figure n'avait jamais été faite et ne serait pas reproduite avant longtemps. Momo gardait la tête froide, le plus dur était fait, mais il savait que de très nombreux accidents se produisaient sur les premières voies. Un effet de relâchement, une baisse de l'attention y sont souvent mortels.
Il avait sa qualification « vol aux instruments » qui lui permettait d'utiliser du matériel déjà récupéré pour attraper des objets. Il jeta un coup d'œil dans son camion.
Voilà ce qu'il me faut, s'avisa-t-il en prenant un parapluie tombé la veille d'un camion de chiffons et souquenilles.
Il s'avança sur le milieu de la première voie en le tenant par la pointe, puis, plantant la poignée arrondie dans un trou du matelas, il le ramena jusqu'à la BAU.
Sous les acclamations de la foule en délire, titubant comme un pingouin, il le chargea dans son camion.
Yuja l'embrassa.
- Je vais t'écrire une symphonie pour cet exploit, dit-elle, tu vas passer à la postérité.
- Ma foi, je veux bien, répondit Momo, mais heureusement que tu es meilleure pianiste qu'astrologue.
John Duff, novembre 2023
L'Agenda Ironique d'octobre 2023 est organisé par Laurence Delis sur son blog " Palettes d'expressions ".
Le thème du mois d'octobre est le passage à l’heure d’hiver, Une heure qui peut paraître infinie ou brève, à la frontière du rêve et de la réalité, une heure où tout est possible.
Il faudra placer dans l'ordre ou le désordre quatre vers tirés du poème Auguries of innocence de William Blake.
« Voir le monde dans un grain de sable
Et le paradis dans une fleur sauvage
Tenir l’infini dans le creux de sa main
Et l’éternité dans une heure. »
Il est possible également d'utiliser l’expression : « dame d’onze heures ».
La déclaration
Momo et Yuja étaient tout en haut de la station et le jour commençait à décliner. C'était la dernière heure de ski et ce serait leur dernière descente. Yuja mangea quelques fruits secs pour reprendre des forces. Momo admirait le paysage, entre eux et l'horizon, une mer de rochers, de neige et de glaciers brillait sous les derniers feux du soleil, il avait l'impression de tenir l’infini dans le creux de sa main.
En regardant vers le bas, c'était une autre affaire, un épais nuage cachait la vallée.
Après avoir profité une dernière fois du paysage, ils se lancèrent dans la descente. La première partie jusqu'au nuage fût sans problème, mais au bout de quelques mètres dans le brouillard, ils furent obligés de s'arrêter. C'était une purée de pois comme ils n'en avaient jamais vu. On ne voyait pas à un mètre, même leurs skis leur paraissaient flous, les autres skieurs étaient devenus des masses sombres qui sortaient de nulle part et replongeaient dans le néant.
- Saperlipopette, s'exclama Yuja, ça va pas être facile d'arriver en bas.
- Essayons de suivre les panneaux de balisage de la piste, répondit Momo. On est au vingt-trois, quand on sera au numéro un, on sera à la station. Dépêchons-nous, il va faire bientôt nuit.
Ils entamèrent leur descente, 22, 21, 20…
Momo avait l'impression que cela faisait longtemps qu'ils n'avaient pas vu de panneau de balisage, mais il ne dit rien pour ne pas effrayer Yuja. Ce fut elle qui rompit le silence :
- Je crois qu'on est plus sur la piste.
En effet, depuis un moment, de la neige fraiche avait remplaçé la neige damée de la piste.
- Tu as raison, dit Momo, on a dévié de la piste, comment retrouver notre chemin ?
- Si on part du mauvais côté, on va se perdre encore plus. Les pistes vont être refaites par des dameuses lorsque la station sera fermée, attendons la dameuse de onze heures pour redescendre avec elle.
- Non, ils ne dament pas les pistes lorsque le temps est trop mauvais. Si on reste, on va geler sur place. Je pense qu'il faut qu'on prenne plus vers la droite pour rejoindre la piste.
Ce qu'ils firent. La neige devint de plus en plus épaisse et le terrain très accidenté. Ils arrivèrent à des rochers qui barraient le chemin. Dans la région, le hors piste était strictement interdit à cause de falaises vertigineuses. Il valait mieux ne pas prendre de risques.
Ils essayèrent de remonter la pente, mais c'était très lent et exténuant. Impossible de retirer les skis, ils se seraient enfoncés jusqu'à la taille dans la neige. Ils n'avaient pas d'autre solution que de se remettre à descendre en essayant de s'éloigner des falaises.
De temps en temps, ils s'arrêtaient et se mettaient à crier.
- Au secours, on est perdu, est-ce qu'il y a quelqu'un ?
Puis, ils se taisaient pour écouter les bruit et une éventuelle réponse. Rien, ils reprenaient leur descente.
- Arrêtons-nous un peu, demanda Yuja, je n'en peux plus, j'ai mal aux pieds, je crois que j'ai un caillou dans ma chaussure. De toute façon, on ne sait même pas si on va du bon côté.
- On a plus le temps, dit Momo, tu crois toujours voir le monde dans un grain de sable. Si on s'arrête, on va geler sur place et on n'a aucune chance de s'en sortir, notre unique espoir, c'est de continuer de descendre. On se tiendra chaud et c'est notre seule façon de trouver quelqu'un ou quelque chose.
Il lui prit la main pour l'aider à avancer, ils repartirent.
Combien de temps s'était-il passé depuis qu'ils avaient commencé leur descente, ils n'en avaient pas la moindre idée. Ils avaient l'impression d'avoir vécu mille choses et l’éternité dans une heure.
Sans qu'ils n'osent se l'avouer, une même angoisse leur serrait le cœur. Personne n'allait les rechercher d'ici un bon moment. On ne s'apercevrait de leur disparition que la semaine prochaine, lorsque les nouveaux locataires viendraient prendre possession de leur appartement.
Comment une si belle journée pouvait tourner en quelques minutes à un tel cauchemar !
Yuja devait se poser les mêmes questions, car elle questionna subitement Momo :
- Est-ce que tu crois en Dieu Momo ?
- Bah non, tu le sais bien, c'est une invention humaine, fanfaronna-t-il.
Il regretta aussitôt sa réponse. Et si Dieu existait vraiment, et si c'était lui qui le punissait de ne pas croire en lui ? Qu'avait-il fait de sa vie ?
Certe, ce n'était pas un truand, mais toutes ses petites lâchetés au quotidien, tous ses renoncements n'étaient pas très glorieux. Est-ce que cela méritait cette peine maximum ?
Il réalisa que c'était Yuja qui était la meilleure chose qui lui était arrivée. Avec elle, il avait trouvé le paradis dans une fleur sauvage.
- Yuja, je ne sais pas si on va s'en sortir, mais je suis content de t'avoir connue.
- Moi aussi, répondit Yuja.
- Si on s'en sort, je te demanderai en mariage. Il lui serra la main plus fort, il lui semblait tenir l’infini dans le creux de sa main.
C'était trop bête de perdre tout cela. Il décida de s'amender. S'ils s'en sortaient, il serait plus attentionné, moins râleur, il passerait l'aspirateur, taillerait la haie plus souvent…
Comme il pensait cela, il eut l'impression de voir une lueur qui traversait le brouillard, peut-être rêvait-il ou bien était-ce une hallucination due à la fatigue.
- Regarde Yuja, on dirait une lumière par là.
- Oui, le brouillard est plus brillant de ce côté, confirma-t-elle.
Ils obliquèrent vers la clarté, et le brouillard commença à se déchirer. Cinquante mètres plus loin, il avait complètement disparu.
Yuja ouvrit les yeux, puis la bouche, son visage pris toute une palette d'expressions.
- Saperlipopette, s'écria-t-elle, on est revenu à la station.
C'était la réalité. C'était toutes les lumières électriques et les néons de leur village qui brillaient tranquillement, sans se soucier de leur disparition.
Ils retirèrent leurs skis et entrèrent dans la première gargote de la rue pour se réchauffer et se reposer.
Et voilà, mon histoire est finie. Je préfère toujours les histoires qui finissent bien.
Mais je me pose malgré tout une question. Momo va-t-il tenir ses engagements ? Je ne sais pas.
Je lui souhaite, sinon, il risque de se reperdre aux prochains sports d'hiver, ou ailleurs. Le hasard, si c'est bien le hasard, risque de ne pas être aussi clément avec lui.
John Duff, octobre 2023
L'Agenda Ironique de septembre 2023 est organisé par Sabri Na sur son blog " Entre mes Lignes ".
Le thème du mois de septembre est la rentrée scolaire, il faut parler d’un souvenir d’école !
Quelques petites contraintes bien sûr, car sinon cela n’est pas amusant !
Incorporer les mots : rapporteur, pion, colle, ligne, cour (ou cours ou court ou courre) et rythme !
Détourner au minimum un des fameux sigles qui composent ce joli jargon académique qui fait la joie des professeurs.
Utiliser la phrase "Cela donnait le sentiment d’appartenir à une multitude à la fois statique et chatouilleuse", rapportera 3 points supplémentaires.
BEPC
C'était le grand jour, une année que Yuja et Momo attendaient et redoutaient ce moment. Aujourd'hui, ils passaient leur BEPC (Bioutifoul Exam, Pas Compliqué).
Le BEPC était devenu le diplôme final de la scolarité depuis la suppression du BAC (Bière - Alcool - Cannabis) quelques années auparavant à l'initiative d'un DASEN (Directeur à l'Ancienneté Sans Expertise, Nul) du sud de la France.
Ce recteur savait naviguer, au fil des courants, entre les syndicats et les fédérations de parents d'élèves. Sa devise, ne pas faire de vagues, ne rien dire qui pourrait fâcher. Il savait qu'il suffisait parfois d'un mot mal compris (ou trop bien compris) pour que le mammouth se déchaîne et que le système se bloque. Ce qui aurait bien évidemment nui à sa carrière. Cela lui donnait le sentiment d’appartenir à une multitude à la fois statique et chatouilleuse.
Par ailleurs, très engagé dans la lutte contre les discriminations, il avait fait son cheval de bataille de la lutte contre l'inégalité et avait su trouver une oreille attentive au ministère. Son premier objectif avait été la suppression du BAC.
- Ce diplôme est injuste et inutile, expliquait-il. Les élèves des familles de nantis bénéficient de soutiens alors que ceux des familles nécessiteuses sont obligés d'aller faire le guet aux points de deal du quartier pour rapporter une maigre pitance à leur famille déshéritée. Cette situation est insupportable, l'écart ne fait que s'amplifier d'année en année.
En supprimant le BAC, on figeait cet écart et on évitait qu'il ne continue à se creuser. Cette solution avait également l'avantage de déstresser tous les collégiens. Pour ceux qui réussissaient, l'angoisse avant l'examen et pour ceux qui le rataient, l'ostracisation de l'échec.
Mais revenons à nos candidats.
Ils avaient à peu près le même niveau, mais Yuja avait un léger avantage. En effet, grâce à sa belle couleur de peau (jaune d'œuf), elle bénéficiait, au titre de l'inclusion des minorités, d'un coefficient de majoration de 10 % qui revalorisait sa moyenne.
L'épreuve d'anglais commença, ce fut Momo qui tomba le premier sur un os, il fallait traduire : le cheval porte un cow-boy, mais comment on dit « porte » en anglais ?
Il y avait plusieurs pions dans la salle, mais grâce à leur bracelet électronique, les jumeaux pouvaient communiquer en toute discrétion et sécurité.
- Comment on dit « porte », Yuja ?
- Door.
Et Momo put répondre sans difficulté à la question : The horse doors a cowboy.
La seconde épreuve était celle de français, il fallait commenter un texte de Montaigne. C'était un texte mal écrit et incompréhensible. Cette fois, ce fut Yuja qui fut en difficulté.
- Parfois, on se demande si certains écrivains comprennent ce qu'ils écrivent (*), pensait-elle.
Elle appela Momo à l'aide, mais il lui confirma que le texte n'avait ni queue ni tête.
Mais comment faire comprendre cela au correcteur ? Elle opta pour une méthode douce qui lui permettrait de faire valoir son point de vue sans heurter la sensibilité de la personne qui corrigerait sa copie.
- Toute sa vie, Montaigne a voulu écrire, mais il n'a fait que des essais (*). On peut supposer que s'il n'a jamais terminé ses ouvrages, c'est qu'il n'en était pas satisfait. Vouloir trouver une signification à tout prix est vain et l'on trahit l'auteur en donnant une signification à des choses qui n'en ont pas. Il est donc inutile de se casser la tête avec ça et il vaut mieux s'intéresser à des auteurs sérieux qui ont terminé leur livre.
Ensuite vint l'épreuve de mathématique. C'était le point fort de Momo, mais énervé par le stress, il n'arrivait plus à se concentrer. Les formules qu'il avait apprises tournaient dans sa tête, vides de sens.
« La surface d'un cercle est égale à une pierre carrée », « Deux points sont le plus court chemin pour faire passer une droite », « Le triangle est un rectangle avec un côté en moins (*) ».
Petit à petit, tout se remit en ordre, il s'aperçut que le problème n'était pas si difficile que cela. Négligeant les feuilles de brouillon, il rédigea son devoir directement sur sa copie au rythme de son inspiration.
- Les droites sont parallèles. Or si deux lignes sont parallèles à elles-mêmes et sont situées dans un triangle circonscrit, alors la troisième droite est symétrique à la quatrième. Donc A est symétrique de B. (*).
Il reposa son stylo et son rapporteur satisfait. Il bipa Yuja pour s'assurer que tout se passait bien chez elle.
Les jumeaux obtinrent avec brio leur BEPC. L'école était finie, les colles de l'histoire ancienne.
Yuja se lança dans le piano, Momo rentra dans l'Éducation Nationale.
John Duff, septembre 2023
(*) Trouvé sur Internet dans "Perles de copies".
DASEN: Directeur Académique des Services de l'Éducation Nationale
L'Agenda Ironique d'août 2023 est organisé par Gibulène.
Elle aimerait que nous racontions la conversation de deux cigales observant les vacanciers dans un camping en les commentant avec ironie et causticité.
Les mots à caser sont : calinotade, patito, cabinets, et fada.
Il faudra glisser quelque part « l’homme de Cro-Magnon racontait des préhistoires à ses enfants » (citation empruntée à l’aphoriste Gaëtan Faucer)
La conquête de l'espace
Cigalou et Cigalette, installés dans un olivier, observaient les touristes qui rôtissaient sur la plage bondée, plus de place pour le moindre doigt de pied. Leur attention fut attirée par l'arrivée de deux fadas qui pensaient trouver un coin pour bronzer.
- Fan de chichourle, dit Cigalou, ces deux-là ont de l'espoir.
- Oh Fatche de con, approuva Cigalette ! Y voient pas qu'c'est trop esquichés par ici !
Momo et Yuja, car c'était bien eux, parvinrent cependant à trouver deux emplacements pas trop éloignés. Momo ne pouvait que se tenir debout, Yuja, plus chanceuse, réussit à s’asseoir en relevant ses genoux sur son ventre. Ils attaquèrent immédiatement leur manœuvre de rapprochement :
- Hé Momo, tu me passes la crème solaire, demanda Yuja.
Momo lui envoya le tube, mais, maladresse ou malignité, celui-ci tomba sur le ventre d'une dame en train de bronzer. Celle-ci sursauta et se mit à crier :
- Non mais ça ne va pas, vous ne pouvez pas faire attention !
Momo se confondit en excuses :
- Désolé, madame.
Et Yuja de compatir :
- Fait donc attention, Momo, tu aurais pu blesser la dame.
Les deux cigales soupirèrent d'aise en se calant sur leur feuille.
- Hé Cigalette, crois-tu qu'il l'a faite exprès, cette calinotade ?
- Je ne sais pas, attendons la suite. On ne va pas s'ennuyer cet après-midi.
Momo entreprit de s’asseoir sur le bout de la serviette d'un monsieur hirsute. C'était toute une famille semblant sortir d'un autre monde. La maman ronflait et l’homme de Cro-Magnon racontait des préhistoires à ses enfants.
Momo entreprit d'apprivoiser les enfants en leur faisant des sourires. Il leur envoya un ballon, et leur fit signe de lui renvoyer. Après quelques hésitations, c'est ce qu'ils firent. Un petit jeu d'aller et retour commença. Après quelques échanges, il envoya le ballon sur la baigneuse qui avait reçu le tube de crème solaire quelques minutes plus tôt.
Avant même que le ballon n'ait atteint sa cible, il s'était absorbé dans un sudoku d'un air détaché.
La baigneuse ressauta en l'air, complètement exaspérée.
- Vous ne pouvez pas faire attention, dit-elle aux enfants. Puis, s'adressant aux parents.
- Vous voyez bien qu'il n'y a pas de place pour jouer au ballon.
Les parents qui n'avaient rien vu grondèrent les enfants à tout hasard.
- C'est le monsieur, commencèrent les enfants.
Momo daigna lever la tête de son sudoku en faisant sa tête d'abruti préférée.
- La dame a raison, il ne faut pas jouer au ballon ici, il n'y a pas assez de place.
La dame victime de Momo et Yuja ramassa ses affaires et abandonna dégoûtée son coin de sable.
Yuja y déplia aussitôt sa serviette et s'allongea dessus.
- Un - zéro, dit Cigalou.
- Bon début, je te le concède, répondit Cigalette, mais ce n'est pas encore gagné.
Momo et Yuja n'étaient maintenant plus séparés que par la famille de Cro-Magnon.
Profitant d'un moment ou personne ne le regardait, Momo renversa sa bière sur le tas bien empilé de leurs affaires. Quand il fut complètement imbibé, il apostropha les enfants :
- Mais faites donc attention, les gosses, vous avez renversé ma bière.
Puis, s'adressant aux parents qui se réveillaient une seconde fois :
- Occupez-vous de vos enfants, regardez ce qu'ils ont fait.
- C'est pas nous (re)commencèrent les enfants.
- Oui, oui, et le ballon sur la dame, ce n'était pas vous non plus peut-être, répondit Momo.
Devant tant d'injustice, les enfants se mirent à pleurer.
- Peuchère, dit Cigalou, Ces deux-là sont des bons.
- Oui, approuva Cigalette, mais ils poussent le bouchon un peu loin, avec le blond qui frappe, ça va monter au ciboulot des Cro-Magnons.
Pour la suite de cette histoire, il me faut d'abord rappeler quelques particularités du Maroilles. Vous savez que c'est un fromage du Nord, sans doute le meilleur monde. Son odeur est forte, ses détracteurs disent qu'il sent le cabinet, mais c'est un mensonge. Il a la caractéristique moins connue de couler et de remonter tout seul vers sa région natale lorsqu'il est très avancé.
Momo et Yuja se trouvaient de part et d'autre de la famille de gêneurs, lui au sud et elle au nord.
Momo prit le Maroilles qu'il avait toujours sur lui en cas de petite faim et le déposa délicatement dans le sable. De l'autre côté de la famille, Yuja se mit à fredonner discrètement pour encourager le fromage :
- Dors, min p'tit quinquin,
- Min p'tit pouchin, min gros rojin
- Te m'f'ras du chagrin,
- Si te n'dors point j'qu'à d'main.
Le fromage se liquéfia rapidement sous le soleil de plomb. Puis, doucement, il commença à s'écouler en remontant vers Yuja. Il glissa sur et sous la dame en laissant une large trace odorante sur son bronzage. Celle-ci se mit à hurler en se demandant quelle était cette masse visqueuse qui rampait sur elle. Elle essaya de la retirer, mais elle ne fit que des fils de fromage, ce qui l'étala encore plus. Son patito de mari voulu l'aider, il s’empêtra également dans les fils qui se relièrent en rassemblant bientôt toute la famille dans une espèce de cocon malodorant. Ne pouvant s'essuyer avec leurs serviettes inutilisables, ils furent obligés d'aller se rincer dans la Méditerranée.
Ils ne revinrent jamais chercher leurs serviettes à la bière et au Maroilles.
Momo installa sa serviette à côté de celle de Yuja.
- Putingue, soupira Cigalette, la bière, c'était de l'Anosteké et gâcher un si bon fromage, quel dommage.
- Rassure-toi, la consola Cigalou, cette nuit, quand la plage sera à nous, nous ferons un festin de roi.
John Duff, août 2023
L'Agenda Ironique de juillet 2023 est organisé par Photonanie.
Elle aimerait que les textes soient des anticatastases dans lesquelles on retrouverait, habilement glissés, les mots suivants: albédo, pentagone, et l’expression “ne pas être le pingouin qui glisse le plus loin”.
Une mesure d'économie
Yuja, Momo et leur petite Zerbina formaient une famille unie et heureuse. Certes, ces parents-là n'étaient pas les pingouins qui glissaient le plus loin, mais la vie ne leur avait pas épargné les embûches.
Momo gagnait sa vie en brûlant des feux rouges, en roulant sur les trottoirs à vélo et en livrant des pizzas. Yuja, elle, rapportait quelques sous au foyer en donnant des cours de piano à des gosses de riche plus enclins à écouter Aya Nakamura que Chopin.
En réunissant leurs revenus, force était de constater qu'ils n'y arrivaient pas. Mois après mois, les factures s'accumulaient.
Un soir, en mangeant leur fricandelle à la lumière tremblotante d'une bougie, Momo eut une idée pour faire des économies :
- Et si on abandonnait Zerbina ?
- Bonne idée, acquiesça Yuja, perdons-là aux Galeries Lafayette, je n'ai plus rien à me mettre, je profiterai des soldes pour me racheter un chemisier.
C'était la réalité, le chemisier de Yuja était troué. Il laissait d'ailleurs, selon Momo, apparaître des merveilles.
C'est ce qu'ils firent le lendemain. Après avoir essayé son nouveau chemisier, Yuja fit entrer Zerbina dans la cabine d'essayage et lui dit :
- Tu ne bouge pas d'ici avant qu'on ne vienne te chercher, et surtout, laisse le rideau fermé.
Puis, après avoir payé leurs emplettes, ils rentrèrent à la maison.
En arrivant chez eux, quelle ne fut pas leur surprise de trouver Zerbina assise sur la dernière marche de l'escalier.
- Comment es-tu arrivée là, dit Momo, on te cherche partout depuis trois heures.
- C'est madame Michu, la voisine du dessous qui faisait ses courses et qui m'a trouvé, elle m'a ramené dans sa voiture.
Toute la famille fêta ces retrouvailles dans la joie. Ils décidèrent de se partager le dernier yaourt aromatisé aux fruits qu'ils gardaient pour une grande occasion.
Plus tard, lorsque Zerbina fut couchée, Momo dit à Yuja :
- Les Galeries Lafayette, c'était trop près de chez nous, il faut aller plus loin.
- On peut essayer dans le métro, répondit Yuja, il y a beaucoup plus de monde.
Comme tous les jours vers 17 h 00, la station Chatelet - Les Halles était bondée. Quand le métro y entra, la famille était serrée contre la porte. Après avoir laissé descendre puis monter la foule, comme la porte allait se refermer, Momo et Yuja embrassèrent tendrement Zerbina et lui dirent :
- C'est ici que tu descends mon amour.
Et, ils la poussèrent doucement sur le quai. La porte se referma. Quand la rame repartit, Momo et Yuja avaient le cœur gros, que leur vie allait être triste sans leur petite Zerbina.
Arrivés au cinquième, Zerbina les attendait, assise sur la dernière marche de l'escalier.
- Comment es-tu revenue, demanda Yuja, nous nous faisions un sang d'encre.
Je ne savais pas où aller, alors je suis restée sur le quai. Lorsque le métro suivant est arrivé, la foule qui montait m'a repoussé dans le wagon. Je suis tombé sur Gibulette, ma meilleure copine d'école. C'est sa maman qui m'a raccompagnée jusqu'à la maison.
Quel bonheur !
Quand elle fut couchée. Aucun des deux n'osait aborder le sujet. Après deux retours quasi miraculeux, que faire ? Peut-être était-ce le ciel qui ne voulait pas. Ils ne pouvaient quand même pas s'en débarrasser en la jetant dans la Seine.
Ce fut Yuja qui trancha :
- Allez-zou, jamais deux sans trois, mais cette fois, il faut assurer.
- Et si nous essayions le Salon de l'agriculture, proposa Momo, notre petite Zerbina adore les animaux. Elle verra des vaches, des cochons, des poules, elle va adorer. C'est ce qu'ils décidèrent de faire le week-end suivant.
La foule était dense, c'était une masse humaine qui progressait lentement dans les larges allées du salon.
Momo lui avait fait la morale :
- Tu ne dois parler à personne. Si on te demande comment tu t'appelles, tu dois répondre Maria, si on te demande où tu habites, tu dois répondre, au Portougueche et pour toutes les autres questions, tu dois répondre, No comprendo.
En passant devant un enclos en forme de pentagone où jouaient des petits agneaux, Zerbina tomba en admiration.
- Regarde maman comme ils sont mignons.
Voyant que l'éleveur était occupé à discuter à l'autre bout du stand, elle répondit à Zerbina :
- Oui, ils sont adorables, tu peux aller les caresser.
Elle souleva Zerbina et la déposa dans l'enclos.
- On revient dans dix minutes, n'oublie pas, tu t'appelles Maria et tu habites le Portougueche.
Puis, ils se décalèrent d'un pas vers le centre de l'allée et furent emportés par le courant qui se dirigeait vers la sortie. Ils rentrèrent chez eux le cœur serré, la vie, c'est vraiment de la merde.
Rentrés chez eux, Zerbina ne les attendait pas sur la dernière marche de l'escalier.
Pour se remonter le moral et forcer le destin à leur accorder un avenir meilleur, ils se prirent un petit apéro.
Le lendemain, on sonna chez eux. C'était deux policiers accompagnés d'une dame à l'air sévère.
- M. et Mme Poivrieri, demanda un policier ?
- Oui, c'est nous, qu'est-ce qu'il se passe.
- Nous avons retrouvé votre fille au Salon de l'agriculture, mais il y a un problème. Ce n'est pas la première fois que vous la perdez. Nous avons déjà reçu deux signalisations à votre sujet. Quelqu'un prétend avoir retrouvé votre fille dans une cabine d'essayage des Galeries Lafayette et une autre personne dit l'avoir retrouvé dans le métro. Mme Folcoche, ici présente, est de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, elle voudrait vous poser quelques questions.
- Nous nous demandons si vous êtes en capacité d'élever votre fille, dit la dame, une enquête va être ouverte pour le déterminer. Au vu des éléments en ma possession, il est probable qu'un placement sera envisagé.
Yuja et Momo échangèrent un regard. Inutile de parler, ils savaient qu'ils étaient d'accord. Chacun voyait ses pensées se refléter dans les yeux de l'autre avec un albédo de 100 %.
- Vous pouvez la garder, dit Yuja. Nous n'en avons plus l'utilité. Momo, va chercher quelques peluches afin qu'elle ne se sente pas trop seule.
- Au besoin, nous en ferons une autre, compléta Momo.
John Duff, juillet 2023
L'Agenda Ironique de juin 2023 est organisé par Jean-Louis sur son blog Tout l'opéra (ou presque).
Le thème principal est « ce qui se passe de l’autre côté du miroir ».
Comme contraintes supplémentaires, saupoudrer d’un peu de coriandre et d’une pincée de poudre de perlimpinpin. Et puis, si on met un petit oxymore, ça fera plaisir à Jean-Louis tant il adore cette figure de style.
Meeting aérien tragique à Épinard-ville
- Le ouaoua
...
- Le miaou
...
- La meumeu
...
- Le coincoin
...
- Le... comment on dit " lapin " pour un bébé, Momo ?
- Euh, je ne sais pas, un pinpin ?
- Nous, ça risque de l'embrouiller avec le camion de pinpon, répondit Yuja.
- Ils auraient pu dire l'Oryctolagus cuniculus, pensa le bébé. Quel dommage que je ne maîtrise pas encore suffisamment mes cordes vocales. Je ne peux produire qu'une dizaine de sons différents. Comment me faire comprendre, comment leur exprimer mes pensées.
Il lisait beaucoup d'amour et de bonne volonté dans les yeux de ses parents, mais que d'incompréhension. Leurs sourires s'arrêtaient à son visage, mais sans voir au-delà. Ils n'avaient pas idée de ce qu'il ressentait ni de ses pensées. Cela provoquait souvent sur des malentendus et de l'énervement.
Seuls, les airs de piano que lui jouait sa maman les mettaient tous les trois en totale communion.
Le bébé avait essayé de communiquer avec eux en traduisant les mots en langage binaire. Il se disait :
- Je peux exprimer toutes les phrases avec seulement deux sons, par exemple, un " Ah " et un " Reu ", c'est ce que font les ordinateurs. Ou encore plus simplement, en langage morse. Par exemple, pour dire " mon biberon est trop chaud ", je pourrais dire :
AhAh ReuReuReu ReuAh ReuAhAhAh AhAhReu AhReuAh AhAhAh AhReu Ah AhAhAh Reu Reu AhReuAh AhAhAh ReuAhAhReu AhReuAhReu AhAhAhAh AhReu AhAhReu ReuAhAh.
Mais comment faire apprendre le morse à mes parents, ils n'auront jamais la patience.
Un nouveau drame se noua dans la soirée. Sa maman, Yuja, au lieu de lui donner son sein doux et chaud, lui fourra dans la bouche une cuillère de petit pot aux épinards, infect.
L'éducation, c'est quelque chose de sérieux. Il ne faut pas, on ne doit pas tout passer aux parents, ils deviendraient rapidement invivables. Il accorda cependant le bénéfice du doute à sa maman et opta pour une réponse mesurée tout en restant pertinente. Il recracha immédiatement le tout sur son chemisier.
- Je fais d'une pierre deux coups, pensa-t-il. Je lui exprime mon refus d'ingurgiter des épinards (Spinacia oleracea) et je l'informe dans le même temps que son chemisier est moche et ne lui va pas du tout.
Comme de bien entendu, sa maman Yuja ne comprit rien du tout.
Au lieu de changer de chemisier et de lui redonner son sein comme une mère aimante et attentionnée aurait fait, elle se mit à hurler :
- Momo ! Il a tout recraché sur mon chemisier, viens t'occuper de ton bébé !
Momo qui regardait un match de football fit semblant de ne pas entendre, mais un second hurlement lui fit comprendre à quelle point sa tentative était vaine.
- Momooo.
Il rappliqua, prit le bébé des bras de Yuja et le mit dans sa chaise. Pendant qu'elle allait se nettoyer, il entreprit de lui donner son petit pot. Quelle technique utiliser ?
Il tenta d'abord la persuasion :
- Mmm, c'est bon, dit-il en se mimant en train de manger la cuillerée d'épinard.
Le bébé ne tomba pas dans ce piège grossier.
- Mange-la donc toi-même, si t'aime ça.
La cuillère se heurta à une bouche close. Il changea alors de stratégie et mélangea un peu de coriandre aux épinards.
- Mmm, c'est bon, c'est de la girafe, tenta-t-il de persuader le bébé.
- Tu crois faire quoi avec ta poudre de perlimpipin, ce n'est pas de la girafe, c'est de la coriandre (Coriandrum sativum). La cuillerée partit en spray et aspergea Momo des pieds à la tête.
Momo jeta un regard plein de tendresse à son gentil monstre.
- Aux grands maux, les grands remèdes, se dit-il.
Il décida alors d'utiliser la technique du meeting aérien. Il fit de grands ronds dans l'air avec la cuillère en faisant le bruit d'un vrombissement d'avion. À un moment, la petite cuillère amorça un virage et descendit en piqué vers la bouche de bébé. Celui-ci eut juste le temps de tourner la tête et la petite cuillère faillit s'écraser sur sa joue. Momo dans un réflexe la fit monter en chandelle et évita la catastrophe.
Il tenta ensuite diverses approches, la vrille, le tonneau, le double tonneau, la boucle, l'immelmann, le demi huit cubain, rien ne fonctionna. Le bébé devait sentir les manœuvres et arrivait toujours au dernier moment à éviter la cuillère.
Le bébé maintenant s'amusait et riait franchement des pitreries de son papa. Il ouvrait maintenant la bouche comme s'il acceptait de gouter les épinards.
- Victoire, se dit le papa.
Mais, victoire à la Pyrrhus. Le petit pot était vide. Son contenu était également réparti entre le bébé, Momo, par terre et même jusqu'au canapé.
À ce moment, Yuja revint avec son chemisier propre.
Il a tout mangé, dit Momo, mais si tu pouvais lui donner un peu le sein, je crois qu'il a encore faim.
John Duff, juin 2023
L'Agenda Ironique de mai 2023 est organisé par lacraie. Le thème est la fuite du temps.
Le texte devra obligatoirement commencer par la phrase : " l’aurore sortait de l’océan sur son char de roses ".
Le personnage de GRóA, reine mythique, femme de Aurvandil, sorcière guérisseuse devra être utilisé. Il faudra caser les mots : marsouin, trichobézoard, et « soulèvements de la terre » .
Week-end à la plage
L’aurore sortait de l’océan sur son char de roses. Momo et Yuja avaient passé la nuit à la belle étoile dans les dunes et étaient gelés.
- Enfin, pensa Momo, le jour se lève, on va enfin pouvoir se réchauffer.
Momo alluma le réchaud sous la bouilloire, mit du café en poudre et des sucres dans les bols, et retourna se blottir contre Yuja en attendant que l'eau chauffe.
Quelque minutes plus tard, lorsque la bouilloire se mit à chantonner, il sortit un doigt de pied timide du duvet, l'air était toujours aussi frais.
Prenant son courage à deux mains, il alla chercher les deux bols, rajouta un peu de lait dans le sien et remplit les deux avec l'eau chaude. La journée allait pouvoir commencer.
La veille, ils avaient fait une promenade en mer et avaient vu des marsouins.
Aujourd'hui, ils hésitaient entre la randonnée et le char à voile. Ils avaient tout le petit déjeuner pour en décider.
Yuja aimait sucer un bonbon pour se mettre en train le matin, ce qu'elle fit d'un geste machinal.
Tout à coup, elle s'arrêta de parler et se mit à suffoquer. Elle avait avalé son bonbon de travers.
Momo ne comprit pas tout de suite ce qui se passait. Par des gestes, en lui montrant tour à tour le paquet de bonbons et sa gorge, elle lui fit comprendre qu'elle s'étouffait.
Paniqué, Momo ne savait pas quoi faire. Un compte à rebours mortel venait de se déclencher.
Il s'approcha et regarda dans la bouche de Yuja, il voyait le bout du bonbon au fond de la gorge. Il approcha deux doigts, mais impossible de l'attraper, aucune prise, juste un bout de surface lisse. Il se rappela ce qu'on lui avait dit sur le sujet :
NE JAMAIS ESSAYER DE RETIRER UN OBJET DANS LA BOUCHE DE QUELQU'UN QUI S'ÉTOUFFE.
Il risquait de l'enfoncer plus profondément et de tuer sa copine. Il savait également que s'il ne faisait rien, il la tuait tout aussi sûrement.
Dans le désespoir, il se mit à crier :
Au secours, ma copine s'étouffe.
- Débile que je suis, pensa-t-il aussitôt, personne à trois kilomètres à la ronde, je perds du temps et ma copine qui est en train de s'étouffer.
Il se décida à appeler les secours, mais les chiffres tournaient dans sa tête : 18, 15, 112, 17 ? Il n'arrivait plus à savoir à quoi chaque numéro correspondait, il fit le 17.
Une boîte vocale délivra son message :
- Vous êtes à la Gendarmerie de Bray-Dune, veuillez...
Momo raccrocha et fit le 15 :
- Samu de Dunkerque bonjour, que se passe-t-il ?
- Ma copine a avalé un bonbon de travers et est en train d'étouffer. On lui passa aussitôt le médecin coordonnateur.
- A-t-elle toujours sa connaissance ?
- Oui, mais elle est toute bleue.
- Est-ce qu'elle respire ?
- Pas beaucoup.
- On vous envoie une équipe, mais elle ne sera pas là avant 30 minutes, il faut que vous extrayiez le corps étranger vous-même.
- Comment dois-je faire, demanda Momo.
- Calmez-vous, dit le docteur, je suis avec vous, on va faire la manœuvre ensemble.
Momo mit le haut-parleur du téléphone et le posa sur la table.
- Mettez-vous derrière votre amie et tenez-la en croisant vos bras sur son ventre. Vous me dites quand c'est fait.
- Ça y est, répondit Momo au bout de quelques instants.
- Vous serrez votre poing droit et vous le mettez sous la cage thoracique. La partie du ventre la plus haute, juste en dessous de la pointe du sternum.
- C'est fait, répondit faiblement Momo.
- Avec votre main gauche, vous recouvrez votre poing droit. Quand je vous le dirai, vous reculez brusquement les deux mains vers vous pour compresser ses poumons et en faire sortir l'air d'un seul coup.
- Oui, bredouilla Momo.
- À trois, dit le docteur, un, deux, trois, tirez.
Momo tira, rien ne se passa.
- On recommence, dit le docteur, un, deux, trois...
Toujours rien.
- Nous allons essayez autre chose, dit le docteur, vous allez...
Le téléphone se coupa, il n'avait plus de batterie.
Des larmes jaillirent dans les yeux de Momo, que faire, combien de temps lui restait-il ?
Un air que lui jouait Yuja au piano lui traversa la tête. Sur le moment, cela le mit en rage. Comment pouvait-il penser à la musique alors que son amie n'avait sans doute plus que quelques secondes à vivre.
Puis, il reconnut, c'était « la ballade de Gróa », du compositeur islandais Sveinbjörn Sveinbjörnsson.
Dans un éclair, il comprit. Gróa était la femme de d'Aurvandil le Téméraire, c'était une magicienne capable de tout. Elle pouvait déplacer les arbres, faire des soulèvements de la terre, mais surtout, c'est elle qui avait retiré les pierres qui s'étaient fichées dans la tête de Thor. Elle pouvait sûrement l'aider à retirer le bonbon qui étouffait sa copine.
Il reprit Yuja dans ses bras, prit sa respiration comme si c'était lui le malade, compta jusqu'à trois et en criant :
- À moi Gróa !
Il serra ses deux bras. Avec l'energie du désespoir diraient certains, avec une énergie surnaturelle diraient d'autres, à lui casser les côtes dans tous les cas.
Yuja recracha son bonbon qui tomba sur le sol, tel un trichobézoard.
- Vas-y mollo, dit Yuja, tu m'as fait mal.
Mais c'était pour la forme, ils étaient tellement heureux tous les deux que cela se finisse comme cela.
Tout est bien qui finit bien, me direz-vous. Pas tout à fait, il me reste un petit problème que je n'ai pas élucidé.
La sorcière Gróa, a-t-elle réellement aidé Momo ?
Les esprits forts diront que non, il a juste fait les mouvements qu'il fallait.
Moi, je n'en suis pas certain et je crois qu'elle a sans doute participé.
Et toi ami lecteur, qu'en penses-tu ?
John Duff, mai 2023
L'Agenda Ironique d'avril 2023 est organisé par iotop sur son blog Le dessous des mots.
Le thème général est le chat. Il faudra utiliser les mots : automate, créature, usurpation et compresseur.
Le chat Mallow et le chat Taufor
Chat Mallow ayant dormi,
Jusqu'à onze heures et demie,
Était à court de croquettes,
Lorsqu'il sortit de sa couette.
Il chercha du réconfort,
Auprès de l'ami Taufor.
- Quelques souris ou mulots,
Que tu as pris au silo.
Je rembourserai ma dette,
Au double de ce qu'elle vaut
Quand l'automate à croquette
Sera rempli à nouveau
Pourquoi drôle de créature,
Répondit le chat Taufor,
Dès que tu es dans le dur,
Venir me taper encore
- J'ai ronronné au soleil,
Lissé mon poil de ma langue,
Mangé du maître les orteils,
Et écouté Yuja Wang.
- Tu dormais pendant que moi,
sur mon rouleau compresseur
J'ai travaillé tous ces mois
Dans le cambouis et la sueur.
Manger sans travailler,
C'est de l'usurpation.
Te donner à manger,
Il n'en est pas question.
John Duff, avril 2023
L'Agenda Ironique de mars 2023 est organisé par Isabelle-Marie d'Angèle.
L'histoire devra se passer dans un champ avec des fleurs, des plantes, des mauvaises herbes qui piquent, qui grattent, qui puent, qui dévorent ceux qui s’approchent trop près. Une fleur est imposée, c'est le le pissenlit. Il faudra également utiliser une valise, quelque chose qui donne l'heure et les mots graine, sauvage et corolle.
Mourir d'aimer
Momo dit La Mouche coupait toujours par le pré pour éviter la grande boucle du chemin. Sans doute l'inconnue avait-elle fait la même chose dans l'autre sens, car ils se rencontrèrent dans une clairière au milieu des herbes et des fleurs sauvages. Le cœur de Momo s'arrêta. Il sut qu'il avait trouvé l'âme sœur, l'amour de sa vie. Plus rien n'avait d'importance, cette conquête était devenue son Graal.
Mais comment faire ?
Il utilisait un généralement une prise de contact très directe. Cela avait l'avantage, lorsque cela fonctionnait, de raccourcir les préliminaires et de passer rapidement à des moments plus intenses.
- Eh la meuf, tu couches ? Je suis sûr que t'es bonne, lui lança-t-il.
La beauté n'apprécia pas du tout cette entame de conversation. Elle le fixa dans les yeux et répliqua :
- Ta vulgarité me donne la migraine, t'aurais pu avec un peu de subtilité dire bien des choses pour attirer mon attention, par exemple :
Grammairien : Vous êtes belle à un point qu'il n'y a plus besoin de virgule. *
Gendarme du RAID : Ton père, c’est pas Ben Laden ? Non, parce que tu es une bombe ! *
Brigade de gendarmerie de l'autoroute A7 : On devrait vous arrêter pour excès de beauté sur la voie publique. *
Chœur de l'Opéra de Paris : Viens chanter avec moi la mélodie du bonheur.
Mélomane : Tu es la réincarnation de Yuja Wang.
Bagagiste : Fais ta valise, je t'emmène au septième ciel.
Garagiste : Hey, la blonde platine, allons roucouler une bielle.
Société des Éditions Larousse : Hey, la rousse au pissenlit, si au lieu de semer à tous vents, on s'aimait avant tout.
Coiffeur : Hey la miss aux cheveux lisses, t'as pas un 06 ? *
Restauration rapide : Si tu étais un sandwich au McDo, tu serais le Mc-nifique. *
Syndicat des aviculteurs de la Bresse : t'es super belle, ma cocotte.
Voila le genre de chose que tu aurais pu me dire, mais tu n'as aucune chance avec moi, car ton esprit ne vole pas plus haut que les bouses de vache de ce champ.
Momo encaissa, ça commençait mal.
Il essaya de se rappeler le « Manuel de drague pour les nuls » qu'il avait lu il y a quelque temps. Comme on était à la campagne, il se remémora plus particulièrement le chapitre « Accroches par métaphores végétales ». Il s'en rappelait deux, « Belle plante » et « Mignonne, allons voir si la rose... ». La première n'était qu'une évaluation normative inutilisable et la seconde complètement dépassée.
Je vais devoir improviser, se dit-il, je vais tenter l'haïku. Il se lança :
Chère belle inconnue
Tu es la femme de mes rêves
Unissons nos vies.
La belle esquissa un sourire.
- C'est mieux, dit-elle.
Ils échangèrent quelques banalités puis firent connaissance plus amplement, la belle était ferrée. Voyant le soleil qui commençait à descendre et les ombres s'allonger, Momo pensa qu'il était temps de passer à l'étape suivante.
Je ne sais pas si vous croyez au magnétisme ou à l'aura, appelez-le comme vous voulez. Quelque chose d'immatériel qui émane de toute forme vivante et pouvant être perçu par certaines personnes ultrasensibles.
Momo y croyait, il pensait même que le toucher démultipliait ce magnétisme. Il s'approcha, l'effleura, elle ne se déroba pas. Momo sut que c'était gagné.
La belle avait complètement changé d'attitude, elle semblait complètement réceptive, captivée. Elle se mit à onduler, comme portée par le vent, Momo était en transes.
Lorsqu'il l'embrassa, elle l'entoura de ses corolles et l'immobilisa complétement. Momo nageait dans le bonheur.
Quand les sucs digestifs de la plante carnivore commencèrent à se déverser sur Momo la mouche, il sut que ce serait également son dernier amour.
- Je n'aurais jamais dû tomber amoureux d'une Dionaea muscipula, se dit-il, mes parents m'avaient bien prévenu, mais on n'y peut rien, c'est le destin. C'est ma fin, mais elle n'est pas triste, car j'ai connu le grand amour.
En attendant d'être digéré, Momo la mouche se mit à chantonner :
- Une jolie fleur dans une peau de vache, une jolie vache déguisée en fleur...
John Duff, mars 2023
* Certaines propositions de la plante carnivore ont été trouvées sur le web.
L'Agenda Ironique de février 2023 est organisé par Carnets Paresseux.
Le thème central de l'AI est les légumes. Le texte devra comporter les mots : nuage, tapage, dindon, bouillon.
Menu du jour
Le lundi est toujours triste, car c'est un jour de rentrée. Il annonce toute une série de d'ennuis comme les cours, le travail, les profs et toute une ribambelle d'autres désagréments qui n'arrivent jamais le WE.
Yuja et Momo avaient l'habitude de commencer leur semaine en allant voir le menu de la semaine qui était affiché sur le mur du réfectoire.
- J'espère qu'il n'y aura pas trop de légumes, dit Yuja. Je ne comprends pas comment on peut manger ces choses-là.
- Tu as raison, répondit Momo, rien ne vaut les frites et les pâtes.
- Tu te rappelles, la semaine dernière, ils ont même osé faire du poisson.
- C'est de la maltraitance alimentaire, comment étudier correctement dans ces conditions !
Ils étaient arrivés au réfectoire et découvrir avec effroi les sinistres élucubrations du cuisinier de l'établissement.
C'est horrible, dit Momo, je ne vois un repas normal que mardi, le reste est immangeable.
T'en fait pas, dit Yuja, j'avais prévu le coup. J'ai ramené des Mars et des Twix. Je les cacherai dans le piano de la salle de musique.
- C'est bonne planque, dit Momo, personne ne l'utilise.
- Si on a un petit creux, il suffit d'organiser un tapage. On se fait virer du cours, on court ici et on survit.
Momo était toujours impressionné par la prévoyance et l'inventivité de Yuja, peut-être la semaine allait-elle se passer sans trop de dégâts.
- Allons, dit Momo, je te paye un café, tu me sauves la vie.
- Avec un nuage de lait, répondit Yuja, nous allons avoir besoin de forces.
John Duff, février 2023
L'Agenda Ironique de janvier 2023 est organisé par tiniak.
Le thème central de l'AI est “Frutti di mare”. Le texte devra faire entre 150 et 223 mots et comporter au moins trois des mots de la liste (un rien maraboutée) suivante :
Tutti frutti, frutti di mare, marée [montante ou descendante*], dentier de, [d’eux ou de*] crabe, crabouille, ouille la la ! [là, je dis*] amen, aménité, ite missa est !
Rock around the langoustine
- Ite missa est, dit le curé.
- Amen, répondirent les fidèles.
Le flot des paroissiens reprit l'allée centrale de la nef vers la sortie. Momo et Yuja furent emportés par cette marée descendante et se retrouvèrent sur le parvis. Une merveilleuse journée s'ouvrait devant. Ils avaient passé le sermon à la programmer.
- On commence par la guinguette, dit Yuja. Elle fit gonfler sa jupe rouge et se mit à chantonner :
- Wop bop a loo bop a lop bom bom.
- Tutti frutti, oh rootie, répondit Momo en lui prenant la main et en la faisant tournoyer.
Emporté par son élan, Yuja rata la main de Momo et atterrit sur l'étal de la poissonnerie Frutti del mare qui s'écroula. Elle se retrouva à quatre pattes dans le caniveau au milieu des crevettes et des crabes, pianotant sur des soles. Le poissonnier la regardait d'un œil noir, sans aucune aménité.
- Ouille la la, s'exclama-t-il, vous m'avez écrabouillé toute la marchandise. Il n'y a plus rien d'entier de mes coquillages.
- Je vous prends la grosse langoustine rouge, dit Momo en saisissant la main de Yuja pour la relever.
John Duff, janvier 2023
L'Agenda Ironique de décembre est organisé par Photonanie.
Le thème central de l'AI est Noël. Il est souhaitable d'utiliser l'expression : " être maquillé(e) comme une voiture volée". Il serait également apprécié d'utiliser le mot graffeur ou gaffeur.
Cadeau de Noël
Momo remontait l'avenue en luttant contre le froid et la fatique, encore une journée de perdue.
Il y a quelques jours de cela, son amie Yuja lui avait discrètement suggéré qu'un sac à main lui ferait plaisir pour Noël. Sur le coup, il n'avait pas compris, pas compris l'immensité de la tâche. Mais voilà maintenant des heures qu'il ratissait toutes les boutiques, qu'il écumait tous les rayons de sacs à main de la ville sans aucun résultat. Trop petit, trop grand, trop moche, rien ne convenait.
Il s'arrêta dans une cafétaria pour reprendre des forces. Son chocolat était brulant. En attendant qu'il refroidisse, il prit son téléphone et tapa sur Google « toutes les sortes de sacs à main ». Dans la page de résultats qui s'afficha, il remarqua un mot qu'il ne connaissait pas, mais qui revenait dans plusieurs réponses : besacologie.
Intrigué, il cliqua sur un des liens hypertextes :
Besacologie
Besacologie \bə.zas.zɔ.lɔ.ʒi\ nom féminin, du latin Bisacium.
La besacologie est la science de l'étude des sacs à main. Les fondements de cette science ont été posés par Arnoldo Poivrieri en 1855 dans son ouvrage : Analyticum studium acus per figuras et colores.
Les principales branches de cette discipline sont la besacologie analytique et la besacologie prédictive, mais il existe de nombreux autres axes de recherches comme la besacologie introspective qui étudie le contenu de sacs à main ou la besacologie industrielle qui en étudie la fabrication.
La besacologie analytique a pour objectif de décrire et de classifier les sacs à main.
Cette classification est basée sur des indicateurs qui sont la dimension, la forme, la couleur, la matière, l'anse et la fermeture. Cette classification est appelée TCMF (Taille, Couleur, Matière, Forme) ou classification de Poivrieri.
Une classification simplifiée ne reprenant pas les sous-rubriques pourrait être la suivante :
Couleur : noire, jaune, rouge, vert, blanc, bleu, marron.
Matière : cuir, tissu, sky, polyuréthane, paille, animaux exotiques (lorsque la matière du sac est animale, la besacologie analytique s'apparente à la taxinomie).
Forme : carré, rectangle, trapèze, trapèze inversé, rond.
Fermeture : fermeture Éclair, pression, pas de fermeture.
Rabattant : avec rabattant, sans rabattant.
Anse : anse simple, anse double, longueur de l'anse.
Poches : moins de 10, 10 à 20, 20 à 50, plus de 50.
Cette classification est nomenclaturée par un système de lettres et de chiffres permettant aux besacologues et aux manusaccaphiles de terrain de décrire très rapidement la totalité des sacs à main.
Exemple :
• pRJsf0/5.zip : petit sac à main rectangulaire jaune en sky à fermeture Éclair
• mTRcR1.Bd : sac à main en trapèze rouge en cuir à rabattant avec une fermeture en boucle dorée
L'autre branche de la besacologie est la besacologie prédictive ou fondamentale. Celle-ci s'attache, à partir de l'étude d'un sac à main, de prédire le caractère de son propriétaire. La besacologie prédictive se rattache aux « sciences humaines et sociales » et parmi elles, à la sociologie, à l'ethnologie et à l'ethnographie.
La besacologie est a connu une importante expansion au XXIe siècle. avec la disparition des caractères sexuels secondaires qu'étaient l'habillement et la coiffure.
De nouvelles branches sont apparues comme la besacologie médicale. Des travaux ont prouvé que l'utilisation d'un sac à main adapté à la personnalité de son propriétaire permet de faire baisser son facteur stress. Un beau sac à main sera souvent plus efficace que l'anti-dépresseur qu'il contient. À l'inverse, un sac inadéquat provoque de la gêne et le repli sur soi. L'usage répété d'un sac à main mal adapté peut provoquer de la dépression, dans certains cliniques, mener au suicide.
On raconte qu'à la cour de Louis XVI, Amandine Le Faillon ayant attiré l'oeil du roi, la marquise de Maintenon lui offrit un sac à main trop petit et d'une couleur jurant avec son teint. La honte de Madame de Faillon fut telle qu'elle jeta avec son sac dans un bassin du château de Versailles et n'en ressorti jamais.
Les principaux caractères sont les suivants :
• Grand sac : personne extravertie ou bien souffrante de myopie.
• Petit sac : manque d'imagination, timidité ou esprit analytique.
• Trapèze : esprit pratique, tempérament réaliste, prudent et méthodique
• Trapèze inverse (plus grande longueur en haut) : esprit de synthèse, on retrouve cette forme également chez certaines artistes de cirque.
• Rectangle : autodidacte, arrivera à une position enviable grâce à son énergie et son talent.
• Couleur rouge : passion dévorante, pouvant mener au désastre.
• Couleur verte : personne généreuse et loyale, très protectrice dans son cercle d'amis ou militante écologiste.
• Couleur bleue : caractérise la vivacité d'esprit. Personne aimant les débats, se distinguant par son sens de la répartie.
• Couleur noire : personnes envieuses ou égoïstes, dans de très rares cas, admiratrices de Pierre Soulages.
• Couleur blanche : personne loyale et dévouée, mais parfois assez naïve.
• Couleur marron : manque d'originalité ou personnes se laissant guider par leurs bas instincts.
• Fermeture Éclair : goût du secret ou amour immodéré du sexe.
• Rabattant : personne refermée ayant un fort besoin de protection, manque de vision à long terme.
• Boucle dorée : cherche avant tout à séduire, le sujet sera prêt à tout pour y parvenir, même à se maquiller comme une voiture volée.
• Grande anse (bandoulière) : amour de la nature et des grands espaces.
• Petite anse : esprit vif mais impulsif. Devant un problème, le sujet évitera généralement de réfléchir pour passer à l'action plus rapidement.
Le chocolat de Momo était maintenant tiède, il commença à le boire.
Intéressant la besacologie pensa-t-il, même un gaffeur patenté comme moi devrait s'en sortir. Si je croise ce traité de besasologie avec ce que je connais du caractère de Yuja, je vais pouvoir lui offrir le sac de ses rêves. Ma Yuja est une artiste pianiste, c'est une sensitive. Elle est vive, chaleureuse mais parfois têtue et de mauvaise foi quand elle n'a pas raison...
Une demi-heure plus tard, Momo reposa son stylo et finit son chocolat. Il avait trouvé le sac idéal.
Mon sac à main aura une face en cuir rose et l'autre en tissu tartan. Il aura une anse type bandoulière vert kaki de type " surplus militaire " et l'autre très courte en chaîne dorée. Le rabattant sera en simili crocodile noir avec une fermeture à pression en forme de piano.
John Duff, décembre 2022
L'Agenda Ironique de novembre est organisé par Carnets paresseux.
Le thème central de l'AI est l'ombre. Il est souhaitable d'utiliser les phrases : " Je ne m’attends pas à ce que vous croyiez cette histoire. Est-ce que j’y crois, moi ?". Il serait également apprécié d'utiliser quelques dates, un mois ou deux.
Ombre portée (ou ombre chinoise)
Il faisait chaud, le soleil brulait tout. Le ciel d'un bleu aveuglant forçait les yeux à regarder vers le bas.
Un air trottait dans la tête de Momo : Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil.
Quelle connerie que cette chanson, pensa-t-il, le soleil c'est la mort.
Ce n'était pas le pire, le pire, c'était le manque. Trois jours qu'il n'avait pas pris de crack, et pas un centime pour en acheter. Il trainait là, dans ce quartier derrière le périph où les camés et leurs dealers avaient élu domicile. Peut-être pour pouvoir en acheter si un pigeon lui chiait des euros dessus.
Malgré la chaleur, il tremblait, de souffrance et de mal-être. Il observait les autres camés, espérant trouver parmi eux une victime qu'il pourrait délester de son argent. Il ne rencontra que des regards agressifs et dangereux. Il était lui-même une victime potentielle à dépouiller. Rien à espérer de ce côté-là.
Il repéra Maxou, son dealer habituel et l'aborda sur le ton copain-copain :
- Eh Maxou, tu me files une dose.
- OK mec, le fric, c'est 30 euros.
- D'accord, je te les file demain.
- Tu m'prends pour un con, dégage.
Fin de l'histoire. Il décida d'aller roder un peu plus loin, histoire de voir des gens moins à cran. Le mieux c'était le centre commercial, au moins, il serait à l'ombre. Un vigile surveillait les trois doubles portes en verre de l'entrée. Il savait que s'il le voyait, il l'attraperait par les cheveux et le balancerait dehors comme une merde.
Il attendit qu'une famille entre par la porte opposée à celle où se trouvait le gardien. Il parvint à se faufiler en se faisant un écran de la famille. C'était une première réussite. Il était toujours très mal, mais un instinct de chasseur l'anesthésiait en surface. Son expérience lui parlait.
Le mieux, c'est les gonzesses, elles ont toujours peur et ne savent pas réagir. Un sac à main, c'est toujours plus facile et moins dangereux à arracher qu'un portefeuille. Dans un magasin, on peut le piquer dans le caddy de la meuf, sans qu'elle ne s'en aperçoive. En plus, elles ne se battent pas et ne courent jamais très vite.
Il repéra une petite Chinoise à la caisse qui récupérait ses courses pour les mettre dans un sac placé dans son caddy. En essayant de masquer ses tremblements, il s'approcha discrètement. Profitant d'un instant où elle était tournée vers le tapis de la caisse, il attrapa le sac, le mit sous son blouson et commença à s'éloigner doucement.
Un cri retentit presque aussitôt :
- Au voleur !
C'était la Chinetoque qui ameutait tout le magasin. Un cercle d'yeux désapprobateurs se mit à converger vers lui.
Momo passa en plan B instantanément, il partit en courant vers la sortie. Pourvu que le gardien ne soit pas à la porte.
Pas de chance, la masse de presque deux mètres du cerbère apparu en face de lui.
L'alternative était simple. S'arrêter, rendre le sac, attendre la police, faire une garde à vue. Cela signifiait encore 24 heures supplémentaires sans crack. L'autre solution, c'était de passer en force et d'essayer de semer le gardien dehors.
Le choix était tout fait. Il commença à courir vers la porte de droite pour déplacer le gardien de ce côté et, tout à coup, obliqua vers la porte de gauche. Cela faillit marcher.
Sauf qu'une espèce de branquignol se prenant pour Zorro se mit devant la porte en écartant les bras. Il obliqua une deuxième fois vers la porte du milieu. Il l'atteignit en même temps que la matraque du gardien qui lui explosa la tête, la nuit noire se fit...
Il reprit ses esprits dans une cellule cradingue du commissariat. Un agent vint le chercher et l'amena dans le bureau de l'inspecteur où il fut menotté à une chaise. L'inspecteur commença l'interrogatoire.
- Raconte-moi ce qui s'est passé, lui demanda-t-il.
- Je suis innocent, répondit Momo. Je ne m’attends pas à ce que vous croyiez cette histoire. Mais j'ai trouvé le sac par terre, je voulais le rapporter.
- Est-ce que j’y crois, moi, à ton histoire ? Répondit l'inspecteur. Tu te fous de ma gueule. Tel que t'es parti, tu vas passer un mois ou deux à l'ombre.
Le lendemain, Momo fut ressorti de sa cellule et ramené dans le bureau de l'inspecteur.
- Mlle Wang t'a reconnu, lui dit-il, mais tu as de la chance, elle a pitié de toi. Comme elle a récupéré ses affaires, elle ne souhaite pas porter plainte contre toi. Dès que tu auras dessoulé, j'te fous dehors. Si je te revois, je t'éclate la tête.
Ramené dans sa cellule, Momo se mit à gamberger.
Il réalisa qu'il n'était plus qu'un mort-vivant, sans amibition ni projets. Combien de haine encore, de violence et de gardes à vue. Comment en était-il arrivé là ? Pourquoi la Chinoise ne l'avait pas enfoncé, et si c'était elle qui avait raison ?
Cinq traits parallèles sur le mur tracés avec des excréments humains attirèrent son attention, cela lui évoquait quelque chose. Soudain, il se souvint, il reconnut une portée musicale.
Il revit son enfance d'enfant prodige, le conservatoire de piano, les concerts, les prix.
L'accident de voiture qui lui avait à moitié arraché la main.
Les anti-douleurs, anti-dépressions, le dégoût de la vie.
Sa famille, tous ses amis « à la vie, à la mort » qui l'abandonnent, la désocialisation, la déchéance.
Il regarda de nouveau la portée. D'anciens graffitis, des projections diverses, les anfractuosités du mur en béton semblaient dessiner des notes sur elle. Il se prit à essayer de déchiffrer cette partition. Il reconnut la sonate au Claire de Lune, arrivé au bout du mur, il continua à la jouer dans sa tête. Ses douleurs avaient disparu et il se sentait envahi par une profonde sérénité.
Je vais changer de vie, se dit-il. Je vais arrêter le crack. Je veux reprendre le piano, après-tout, je ne serai pas le premier pianiste manchot. Il faut que je retourne voir Mlle Wang pour m'excuser. Je lui proposerai, si elle veut, de lui apprendre le piano.
John Duff, novembre 2022
L'Agenda Ironique d'octobre est organisé par Luc sur son blog Le retour du Flying Bum.
La beauté est le thème central. Il faudra en plus que le texte contienne un proverbe créé de toutes pièces et présenté sous forme de citation.
De la beauté
J'ai le regret de t'annoncer que je ne participerai pas à l'Agenda Ironique d'octobre. Non que je n'en aie pas eu le temps, ni que je sois lassé de l'AI ou que j'ai un quelconque grief contre toi. Je n'en ai simplement pas la capacité.
J'ai pourtant fait de nombreux essais, sur un ton sérieux ou humoristique, en mode écolo ou scientifique, que des lamentables échecs.
Comment parler de la beauté alors qu'elle est par définition indicible. C'est une émotion, un frisson, une apnée. Je peux l'entendre, la voir, la lire, mais je suis incapable de l'exprimer ou l'écrire. J'en suis parvenu à la conclusion que ce sujet n'était pas à ma portée.
Pourtant, la beauté existe à profusion, elle est présente partout dans la nature et la vie, de l'infiniment grand à l'infiniment petit. Il suffit de lever les yeux pour admirer Alpha du Centaure, ou de regarder une coupe de granite au microscope électronique... Il suffit de parler aux gens pour la voir souvent dans leurs yeux.
Comme l'air, elle est gratuite, accessible à tous, pourtant, tous les gens n'y sont pas réceptifs au même degré. Car trouver la beauté, savoir la reconnaître s'apprend, c'est un problème d'éducation. Encore faut-il vouloir ouvrir ses yeux et ses oreilles.
Sans doute le QE mesure en partie l'aptitude à apprécier la beauté, mais existe-t-elle en dehors de l'émotion qu'elle suscite ? Peut-on la réduire à la décharge de dopamine qu'elle provoque dans notre corps ?
Ce serait une erreur, car le fait qu'un groupe de personnes ou qu'une communauté apprécie une même beauté montre qu'elle transcende l'individu, les lieux et le temps.
La beauté (physique ou morale) est la matière première de l'amour. Celui-ci n'étant que la reconnaissance et l'attachement à une personne particulière. L'amour réciproque amplifie la perception de la beauté et le bonheur. La recherche de la beauté est donc la quête du bonheur, ce devrait être le but de notre vie. Y renoncer est malheureux, car c'est renoncer au bonheur.
Il y a longtemps, très longtemps, un maître Jedi le disait déjà :
Au-delà de la beauté existant dans la nature, certaines personnes ont le don de savoir la créer, on les appelle des artistes. Cela peut se faire par la musique, le dessin, l'écriture ou la danse. Ou en combinant ces arts primaires par l'opéra, le théâtre ou le ballet...
Exemple de beau dessin :
Exemple de belle poésie :
La Beauté
Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière.
Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;
J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études ;
Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal
Exemple de belle pianiste :
Et par bien d'autres moyens qu'il vous faudra découvrir vous-même.
John Duff, octobre 2022
L'Agenda Ironique de septembre est organisé par Mijo Nouméa sur son blog Funambule sur le fil de l'écriture.
Le thème est de raconter une première fois gustative. Les peaux de bananes à incorporer sont toutes les expressions culinaires.
Le goût de l'aventure
À l'approche de Noël, les grandes manœuvres des jumeaux commençaient. Leur objet était de découvrir à l'avance les cadeaux qui seraient trouvés le 25 au matin sous le sapin de Noël.
Ils jouaient à ça depuis qu'ils étaient hauts comme trois pommes. Officiellement, les parents n'étaient pas au courant, car ils ne s'étaient jamais vantés de leurs découvertes. Bizarrement, année après année, la cachette où les parents dissimulaient les jouets en attendant Noël était de plus en plus élaborée.
Le théâtre des opérations était la réserve du magasin des parents. Un grand hangar, plein comme un œuf de bric et de broc, entassés sur plusieurs mètres d'épaisseur. Seuls quelques passages, jamais plus large qu'une vingtaine de centimètres, permettaient de se déplacer, mais c'était toujours marcher sur des œufs. Des obstacles à contourner, à escalader, à déplacer, avec le risque toujours présent de l'éboulement d'un mur de cageots qui aurait enseveli les imprudents explorateurs.
Donc les jumeaux, Arnoldo et Yuja, pensaient que le temps était venu de lancer leur quête annuelle. Yuja qui était un peu plus raisonnable exprima pour la forme une réserve :
- Si on se fait prendre, on sera les dindons de la farce.
- Tu as du sang de navet, lui répondit Arnoldo. Ne te mets pas la rate au court-bouillon, on va réussir comme les autres années. Si tu as peur, tu n'as qu'à faire le poireau et veiller au grain.
- Lâche-moi la grappe, répondit Yuja vexée, je ne vais pas rester en carafe.
- Par où on commence alors, demanda Arnoldo ?
Yuja qui en avait dans le citron, réfléchit un peu et dit :
- Par le mur du fond, l'amoncellement d'objets monte jusqu'au toit, c'est par là qu'il y a le plus de cachettes.
- Ça va pas être de la tarte, répondit Arnoldo.
Ils entamèrent leur quête. Bien qu'elle leur soit normalement interdite, la réserve était un de leurs terrains de jeux favoris. Ils évoluaient, faisaient de l'alpinisme pourrait-on dire, dans ce dédale de caisses, de sacs et d'objets divers comme des poissons dans l'eau.
En passant sur une vire de cageots, Yuja mis les pieds dans le plat sommital d'un tas d'ustensiles de cuisine. Il était glissant comme une peau de banane. Elle pédala un instant dans la semoule puis tomba dans les pommes posées sur une clayette deux mètres plus bas.
La pile de plats en inox s'écroula dans un vacarme épouvantable !
Ils s'immobilisèrent immédiatement. Des bruits de pas et la porte s'ouvrit, la lumière s'alluma.
- Les carottes sont cuites, pensa Arnoldo. Nous avons fait chou-blanc.
- C'est la fin des haricots, nous sommes dans le pâté, pensait en écho Yuja.
C'était le papa qui avait entendu le bruit et qui venait voir ce qui se passait. Il fit quelques pas dans le hangar, cherchant l'origine du bruit. Après quelques minutes d'inspection qui parurent des heures. Les pas s'éloignèrent, la lumière s'éteignit et la porte se referma.
Ouf, danger écarté. Allez, on y retourne, dit Arnoldo, on a encore du pain sur la planche.
Après avoir fait tout le tour du hangar, en repassant à l'endroit où Yuja avait dévissé et attrapé un œil au beurre noir, il s'exclama :
- Mais nous sommes des cornichons !
Dans la caisse de base maintenant découverte, cachée dans de la paille synthétique, le coin d'une boîte dépassait.
La paille vola en deux coups de cuillère à pot et le trésor apparu. Un petit piano (made in China) pour Yuja, un camion de pompiers pour Arnoldo. Après avoir savouré leur joie d'être parvenu à leurs fins, ils s'intéressèrent à la boîte de confiseries qui accompagnait les jouets. Des faux fruits et légumes miniatures en massepain, ils ne connaissaient pas mais cela avait l'air bigrement appétissant !
Ils en avaient l'eau à la bouche, mais ils avaient pour principe de ne laisser aucune trace qui aurait laissé deviner leur passage. Ils les dévoraient des yeux, mais sans oser ouvrir l'emballage.
Mais c'était trop tentant, ce fut Arnoldo qui eut la mauvaise idée.
- Il n'y a qu'à crever l'emballage sur le coin de la caisse, comme si c'était un accident. On en prend un chacun et on renverse la boîte par terre comme si elle était tombée. Les parents n'y verront que du feu, ils ne recompteront pas tous les massepains par terre.
Sitôt dit, sitôt fait.
Ce fut un moment intense, indescriptible. Si quelqu'un parmi vous n'a jamais mangé de mini fruits en massepain, qu'il le fasse avant de continuer cette lecture. Seul le goût divin, délicatement sucré et parfumé, de cette gourmandise peut faire comprendre la suite de cette histoire et l'apparente faiblesse des enfants.
- Tu crois que si j'en prends un deuxième, ça se verra, demanda Yuja ? Regarde la tomate entre la poire et le fromage, elle est si petite qu'elle compte pour du beurre.
- Non, tu as raison, et, avisant une pêche miniature qui le narguait, il n'en fit qu’une bouchée.
- Comme tu as la pêche, j'ai pris une prune.
Ce fut une orgie. À la fin, ils attrapaient les friandises par deux et se mettaient les bouchées doubles dans le bec. Une bonne poire fut la cerise sur le gâteau.
À ce moment, ils s'interrompirent et se regardèrent. Il n'y avait plus qu'une boîte vide devant eux. Comprenant la gravité de la situation, Yuja qui avait un cœur d'artichaut se mit à pleurer comme une madeleine. Arnoldo essaya de la consoler :
- Allez, les parents ne vont pas en faire tout un fromage. Je vais leur raconter des salades.
Mais Yuja était inconsolable.
- Nous allons nous faire rentrer dans le lard. Privé de dessert, Plus d'argent de poche, plus un radis.
Puis se ravisant.
- Je crois qu'on devrait tout dire à papa et à maman.
- Tu as raison, acquiesça Arnoldo, on aura un sermon pour nous dire qu'il ne faut pas manger son beurre avant son pain ou vouloir le beurre et l'argent du beurre, mais on l'a bien mérité.
À ce moment, des applaudissements éclatèrent. Levant la tête, ils virent leurs parents qui regardaient la scène par une lucarne. Ils étaient là depuis un bon moment. Depuis le début même, car le papa avait repéré les enfants dès son inspection après la chute des plats. Il était simplement reparti chercher sa femme pour les observer discrètement.
- Ce que vous avez fait n'est pas bien, dit le papa. Mais vous vous êtes donné votre punition vous-même, vous serez privé de massepain à Noël, vous allez également ranger tout le désordre que vous avez mis dans la réserve.
Je sais que vous ne croyez plus au Père Noël depuis longtemps. Mais il n'est pas le personnage principal cette fête, l'important c'est le moment de partage et de joie. Pour cette raison, pour votre bonne résolution de tout nous dire, nous allons en rester là.
John Duff, septembre 2022
L'Agenda Ironique d'août est organisé par L'Ornithorynque.
La seule contrainte est d'utiliser la baraque et le bonimenteur de l'image ci-dessous. Le reste est uniquement de la responsabilité de l'auteur.
Comment je suis devenu Dieu
Il faisait gris en cet après-midi de septembre, quelques gouttes commençaient à tomber. Cherchant où me réfugier, mon regard fut attiré par une baraque où une affiche nous promettait un « Voyage vers Mars » , un monsieur gesticulait et pressait les gens d'entrer voir ce spectacle qu'il leur promettait : INOUBLIABLE, GRANDIOSE et quelques autres épithètes non moins engageantes. J'entrais.
Il faisait sombre, la salle était à moitié remplie. Au bout de quelques minutes, un film débuta. Il avait été tourné dans un désert de latérite rouge, sans doute dans le sud de la France. Apparurent ensuite des vaches que l'on avait peintes en vert, elles portaient de fausses têtes en carton pâte destinées à cacher leur nature de vache. J'eus le temps de penser :
- Pourvu qu'ils ne nous fassent pas des Martiens du même acabit.
Trop tard, des personnages habillés en hommes de Cro-Magnon et maquillés de vert de la tête aux pieds firent leur apparition et commencèrent une danse de Sioux.
Me désintéressant de ce pitoyable spectacle, j’examinais le ciel en arrière-plan. C'était la nuit et la voute céleste était superbe. On voyait distinctement chaque constellation et chaque étoile, je me mis à les observer. Une étoile située à côté de la Grande Ourse attira mon attention, je ne la connaissais pas. Elle brillait par intermittence. J'avais l'impression qu'elle voulait me dire quelque choses. À force de me concentrer, je l'entendis dans ma tête :
- Je m'appelle YUJ-AWA-NG, je suis une supergéante bleue et je vais bientôt tirer ma révérence. Je brûle actuellement tout ce qu'il me reste d'hélium. Quand je n'en n'aurai plus, je vais imploser. Je vais me transformer en supernova puis en trou noir. Puis, elle rajouta rapidement pour ne pas m'effrayer :
- Calme-toi, je sais que les trous noirs font peur mais il ne faut pas. On imagine toujours un truc énorme qui bouffe tout, la réalité est tout autre. Les trous noirs ne sont pas forcément énormes, si on transformait la planète Terre en trou noir, elle ne mesurerait que quelques millimètres. Les trous noirs ne grandissent pas, ils n'avalent pas tout, ils grignotent tout au plus une planète ou deux qui passent un peu trop près. Tu ne vas tout de même pas me reprocher un petit astéroïde casse-croûte alors que vous avez grillé votre petite planète bleue en même pas 200 ans. Ce serait l'hôpital qui se fout de la charité.
Voyant que j'hésitais encore, elle piqua mon attention :
- Rejoins-moi et tu sauras enfin ce qu'il y a dans les trous noirs.
À ce moment, j'ouvris un œil pour regarder le spectacle. Il ne se passait rien, les vaches/stégosaures continuaient de brouter et les petits hommes verts de danser, j'acceptais.
Je fus transféré instantanément dans l'étoile. Elle se mit à pulser de plus en plus rapidement puis soudain explosa dans un flash de lumière blanche.
- Vous avez vu notre implosion ? Plutôt impressionnant.
Je sais maintenant ce qu'il y a dans un trou noir. C'est comme au dehors, c'est plein de vide. C'est un autre univers, plein de vide mais avec des galaxies, des étoiles et des planètes. Un univers en expansion, comme le vôtre, son Big Bang correspond à notre explosion en supernova.
Vous allez peut-être me dire que ce n'est pas possible de mettre un univers en expansion dans un trou noir fini.
Eh bien, détrompez-vous, c'est possible. Rappelez la publicité pour une voiture il y a quelques années :
Petite à l'extérieur, mais grande à l'intérieur. Un trou noir, c'est pareil. Comme l'a dit Einstein, l'espace et le temps, c'est très relatif. La surface du trou noir est un point d'inflexion au-delà duquel l'espace devient le temps et le temps devient l'espace.
Avec YUJ-AWA-NG non avons exploré notre nouvel univers. La première question que l'on s'est posé était :
- Est-ce que la vie existe ici ?
La probabilité d'apparition de la vie est infinitésimale, mais avec un nombre quasi infini d'étoiles, tout fini par arriver.
Un jour, nous avons trouvé une planète sur laquelle la vie commençait à se développer. Nous l'avons suivi avec intérêt. Pas de chance, au bout de même pas cent millions d'années, elle s'est prise un astéroïde qui l'a éteinte d'un seul coup. Nous avons continué de chercher...
Nous en avons trouvé une autre, mais pas de chance non plus, une série d'éruptions volcaniques à couvert l'atmosphère d'un épais nuage de cendre qui a refroidi la planète et a également supprimé toute trace de vie.
Nous avons continué de chercher, nous en trouvons maintenant régulièrement.
Nous avons établi un classement en fonction de son degré d'évolution.
Les plus primitifs : molécules organiques, protocellules, puis les mondes végétaux, les mondes marins, les animaux terrestres, et enfin une forme de vie que j'appellerai humaine. Même si leurs formes physiques n'ont la plupart du temps aucun rapport avec celle des humains que vous connaissez.
Par humain, j'entends qu'ils ont des connaissances, une mémoire, donc une histoire. Ils sont capables de maîtriser et d'exploiter leur planète, de la faire péter.
Une caractéristique des mondes les plus évolués est qu'ils se posent des questions sur leur origine. Dans un premier temps, ils adorent leurs soleils ou leurs lunes.
Lorsqu'ils sont un peu plus évolués, ils imaginent un autre Dieu au-delà des étoiles, un Dieu qui a créé l'univers. YUJ-AWA-NG et moi, nous adorons cette étape-là, elle est très gratifiante.
J'en causais avec YUJ-AWA-NG il n'y a pas longtemps, car nous avons aussi dans notre univers des supernovas qui implosent et deviennent des trous noirs. En toute logique, ces trous noirs sont également des univers.
Si l'on raisonne dans l'autre sens, on peut se dire qu'avant d'être un univers, YUJ-AWA-NG était une étoile dans un univers parent qui était lui-même un trou noir. Qui lui-même venait d'un autre trou noir...
Jusqu'où peut-on remonter dans tous ces univers gigognes ? Est-ce qu'il y a un premier univers et un Dieu le Père ?
J'en étais arrivé là de mes méditations métaphysiques lorsqu'on me toucha le coude. C'était le bonimenteur qui se demandait pourquoi je restais sur ma chaise alors que le spectacle était terminé depuis plusieurs minutes.
- Le spectacle est fini, monsieur, me dit-il. Si vous voulez le revoir, il faut prendre un autre billet.
John Duff, août 2022
L'Agenda Ironique de juillet est organisé par Jean-Louis sur son blog Tout l'opéra (ou presque).
Le challenge est d’écrire un texte en sept parties, dont chacune devra commencer par une note de musique, dans l’ordre habituel. Il est souhaitable d'utiliser quelque termes musicaux simples tels que : silence, soupir, croche ou ouverture et portée.
L'escalier du diable
Douquipudonctant, pensa Yuja en remarquant le monsieur au fond de la rame de métro. Ce n'était pas une odeur de sueur, ni d'excrément, ni de pieds, mais un mélange de tout ça, une odeur indéfinissable, nidoreuse (merci l'AI du mois dernier). À l'ouverture des portes de la station suivante, la foule en montant la poussa vers l'homme et elle se retrouva à cinquante centimètres de lui. À cette distance, l'odeur était nauséabonde, bien qu'il lui sembla qu'au milieu de cette puanteur, il s'échappait quelque notes de parfum. Les autres passagers ne paraissaient pas incommodés. Aux gares d'après, la foule continua à remplir la rame et à les rapprocher. Soudain, Yuja sentit quelque chose de dur contre elle, c'était la barre servant à se tenir en cas de secousses. Les gens étaient tellement tassés qu'il semblait que c'étaient grâce à eux qu'elle se tenait verticale.
- Réprimez vos grimaces et votre dégoût mademoiselle, lui souffla à voix basse le monsieur, je vous suis plus utile que vous ne le pensez. Ce que vous croyez être mon odeur, c'est la bêtise et la méchanceté des gens de ce wagon. J'ai le pouvoir de les traduire en puanteurs. La bêtise et la méchanceté sont dangereuses. Est-ce qu'il ne vaut pas mieux les reconnaître pour mieux les affronter ?
- Minable, lui répondit Yuja, vous puez dès que vous ouvrez la bouche, même si vous ne l'ouvrez pas d'ailleurs. Elle essaya de se reculer pour se mettre hors de portée, de se retourner pour échapper à sa vue à défaut de son odeur. Elle n'y parvint pas, la foule les avait étroitement enlacés.
- Facile à prouver pourtant, continua le monsieur sans se démonter, observez, ou plutôt sentez. Vous vous apercevrez que mon odeur augmente quand la rame se remplit et qu'elle diminue lorsque des usagers descendent.
Soliloque d'un fou ou menace d'un être malfaisant ? Yuja se dit qu'il était plus prudent de jouer le jeu. D'autant plus que cela ne coûtait rien et qu'elle était intriguée par le pouvoir inquiétant de cet homme.
La petite pianiste se prit à ce jeu. Quand un passager montait, elle analysait la nouvelle odeur et essayait de la mettre en adéquation avec la personne. La plupart du temps, cela fonctionnait assez bien. L'âme des gens est plus ou moins lisible sur leur visage et dans leurs attitudes. Parfois des surprises arrivaient. Des gamins à l'air angélique dégageant une odeur putride, ou des gueules cassées embaumant l'air d'effluves enchantées.
On approchait du bout de la ligne et maintenant, la plupart des passagers descendaient. Elle remarqua que la rame accélérait et que des bruits inquiétants allaient crescendo :
- Le conducteur est pressé de rentrer chez lui, pensa-t-elle.
À un moment, Yuja s'aperçut que l'odeur ne diminuait plus. Le dernier passager descendit et l'odeur était toujours là, plus tenace que jamais. Le monsieur lui souriait d'un air ironique, semblant s'amuser de son désarroi.
- Si c'était mon odeur qui est dans le wagon, se demanda Yuja ? Toutes mes mauvaises actions, tous mes défauts et mes lâchetés.
Ils lui revinrent en mémoire. Le piano qu'elle avait volé dans une boutique de la chaîne Steinway & Son quand elle avait huit ans, les hommes qu'elle croquait comme des cerises mures pour les recracher comme des noyaux dans le caniveau, les emballages des briques de lait qu'elle s'obstinait à mettre dans la poubelle « carton » au lieu de celle réservée aux bouteilles...
Toutes ces bassesses collaient exactement à l'odeur qui avait envahi tout le wagon.
Le métro allait maintenant tellement vite qu'on ne voyait plus rien par les fenêtres, la cacophonie était devenue assourdissante. Méphisto éclata d'un rire sardonique et lui saisit sa main. Elle sut que c’était elle qu'il était venu chercher. Il prit de l'autre main la barre de métro qui se transforma en fourche, il en frappa le wagon qui explosa et elle se trouva entraînée par Méphisto dans un escalier aux marches noires qui descendait vers l'enfer, elle s'évanouit.
Doucement Yuja ouvrit les yeux, le silence était revenu, elle était blanche et en sueur.
Un rêve, peut-être bien. Il était également possible que ce soit réellement le diable qui soit venu lui parler dans son sommeil.
- De toute façon, Méphisto ou pas Méphisto, c'est la même chose, se dit Yuja. J'ai la chance d'avoir été comblée par la vie et je ne dois pas être ingrate. Elle poussa un soupir et prit de bonnes résolutions :
- J'irai rendre au magasin le piano que j'ai volé,
- Je mettrai les emballages des briques de lait dans la bonne poubelle,
- Quand je mangerai des cerises, j'avalerai les noyaux.
John Duff, juillet 2022
L'Agenda Ironique de juin est organisé par Flying Dum.
Son thème est le pique-nique. Les mots à utiliser sont : flavescent, amphigourique, sycophante et nidoreux. Il est de plus proposé d'utiliser quelques régionalismes.
La tartine
L'expérience est une chose qu'il est assez difficile de partager. Les gens qui en ont une souhaitent toujours en faire profiter les autres, mais ceux qui à qui elle serait utile ne les écoutent jamais.
La famille était composée du père, de la mère et des deux jumeaux, Yuja et Arnoldo. Ceux-ci se ressemblaient trait pour trait, la seule différence étaient les yeux de Yuja qui étaient légèrement bridés, sans doute une lointaine ascendance asiatique qui ressurgissait.
Ils habitaient près d'Orchies, la capitale mondiale de la chicorée et des chicons *. Par une belle journée de juin, exceptionnellement il ne drachait * pas, la famille avait décidé d'aller pique-niquer. Ils n'avaient pas loin à aller, la campagne était tout autour de chez-eux.
Comme avant chaque sortie, les parents avaient mis en garde les enfants :
- Le monde extérieur est plein de danger, ce qui semble gai et engageant recèle parfois des pièges mortels. Une baie rouge et sucrée peut contenir un poison mortel.
- Oui papa, avaient répondu en chœurs les jumeaux qui n'avaient rien écouté.
Ils marchaient depuis des heures, les jumeaux avaient distancé les parents et exploraient la région devant et sur les côtés du chemin. Comme ils commençaient à avoir faim, ils se mirent à chercher un endroit calme et abrité pour déjeuner. Tout à coup, en montant sur un monticule de terre Yuja resta bouche bée. Puis se ressaisissant, elle appela son frère :
- Arnoldo, regarde, as-tu déjà vu ça ?
C'était incroyable, de l'autre côté de la clairière s'élevait une falaise blanche qui traversait tout l'horizon. Elle avait un aspect blanchâtre et était pleine de trous, on aurait dit du pain. Les jumeaux ne se concertèrent pas, ils se mirent à courir, ils firent la course même, pour voir de plus près cette merveille.
Ils arrivèrent en même temps et eurent un choc. La falaise était réellement en pain. Ils n'avaient jamais cru à l'histoire d'Hansel et Gretel. Mais là, force était de constater qu'ils étaient bien au pied d'une falaise de pain.
Avec leur six pattes et l'inconscience de la jeunesse, les deux fourmis escaladèrent la falaise sans se poser de questions. Arrivés en haut, elles entreprirent de longer le bord, elles s’aperçurent assez vite qu'elles revenaient toujours au même point. La falaise était circulaire. Si elles avaient écouté leurs parents, elles auraient su que cette montagne de pain en forme de disque était simplement une tartine de confiture tombée dans l'herbe. Elles voulurent ensuite s'aventurer vers le centre mais une épaisse couche de matière visqueuse orange évanescent les en empêchait. C'était de la marmelade d'orange.
Elles se jetèrent dedans, ce fut une orgie.
Tout à coup, le sol se mit à bouger et la tartine décolla. Les deux jumeaux effrayés se cachèrent dans la confiture. La tartine, car c'était bien une tartine, venait d'être ramassée par son propriétaire. Elle décrivit un arc de cercle et se dirigea vers la bouche d'un petit humain lui aussi très affamé. La mâchoire se referma à l'autre bout de la tartine. Sauvé pour cette fois.
Après une minute de mastication, la tartine reprit sa route vers la bouche, la mâchoire se referma à quelques centimètres d'eux. Sauvé encore une fois mais il ne restait plus qu'une mince bande de pain tenu par deux doigts énormes juste derrière eux. Ils comprirent que la prochaine bouchée leur serait fatale.
Quand la tartine reprit son circuit, ils se serrèrent l'un contre l'autre, c'était la fin. Ils virent la bouche s'ouvrir et furent engloutis dans un autre monde.
Ce fut terrible, ils furent charriés dans la bouche comme un surfeur qui se laisse rattraper pas sa vague. Ils étaient englués dans un mélange nidoreux de salive et de pain à moitié dissout. Ils allaient être broyés entre la langue et le palais lorsque tout à coup, la bouche s'immobilisa et une petite voix s'écria :
- Maman, j'ai mangé une fourmi !
- Crache-là vite, répondit la maman, ce n'est pas bon, elle va te piquer.
Arnoldo et Yuja quittèrent la bouche dans un jet de salive et atterrirent dans l'herbe non loin de leurs parents qui avaient assisté à la scène. Ils n'imaginaient pas revoir leurs enfants vivants.
Yuja commença à braire *.
- C'est Arnoldo qu'a commencé.
- Ne fait pas la sycophante, lui répondit sa maman. Vous ne nous avez pas écoutés et vous serez punis tous les deux. Arnoldo tu passeras la wassingue * dans toute la fourmilière et toi Yuja tu vas réviser ta sonate de piano à quatre mains jusqu'à ce que tu la saches parfaitement.
De cette histoire, les jumeaux tirèrent une morale : Méfions-nous de ce qui est trop attirant, la fleur carnivore se fait belle pour manger les fourmis.
Nul doute qu'ils ne l'enseignent plus tard à leurs enfants.
Nul doute que leurs enfants ne les écoutent pas.
Et le mot amphigourique, me direz-vous.
Ouvre les yeux, ami lecteur, ce mot est partout, tout le long de ce récit.
John Duff, juin 2022
* drachait : pleuvait
* chicon : endive
* braire : pleurer
* wassingue : serpillère
L’Agenda Ironique de mai est hébergé par l'excellente Photonanie.
L'action devra se passer en Islande ou au minimum dans une latitude supérieure à 64 °. Les mots ailurophile, syllogomanie, bec à foin et coquecigrue devront être utilisés. Si en plus le texte se présente une ou des anadiploses, Photonanie sera comblée.
Fable écolo
L'ESBO ou Empire State Building of Qeqertarsuatsiaat avait la particularité d'être creusé dans la glace. C''était l'un des premiers et sans conteste le plus grand des igloos troglodytes du monde. Creusé dans une banquise de trois kilomètres d'épaisseur, il s’agrandissait au cours du temps. D'une part, parce que de nouveaux habitants s'installaient et d'autre part, car les habitants en place avaient l'habitude de piocher les glaçons de leur apéro dans les murs pour éviter d'aller jusqu’au frigo.
Un ascenseur monumental reliant le sommet de la banquise et le niveau de la mer desservait 1200 étages. C'est dans cet ascenseur que se déroule cette fable coquecigruesque.
Il faisait chaud depuis pas mal de temps dans cette région du Groenland, j'imagine que c'est ce qui fragilisa le système d'ancrage de l'ascenseur. Celui-ci rompit tout d'un coup et l'ascenseur se mit à tomber dans le vide. À l'intérieur, seule une légère secousse affecta l'ascenseur, personne ne se rendit compte de ce qui s'était passé.
Dieu merci, il y avait un système de freinage d'urgence. Un système un peu archaïque, mais très efficace. Une griffe d'acier l'on pouvait actionner de l'intérieur par une manivelle. Lorsque celle-ci était actionnée, la griffe pénétrait dans la paroi de glace de la cage et pouvait ainsi arrêter l'ascenseur.
L'ascenseur était plein. Dans le fond, les jumeaux Tchang et Yuja Wanberg se chamaillaient, comme toujours. Tchang essayait de piquer le petit piano en plastique de Yuja. Sans hésiter, Madame Wanberg mis une baffe à Yuja. En effet, on était le dix du mois et madame Wanberg avait compris, non sans raison, que plutôt que d'essayer de trouver qui avait tort et qui avait raison, il était plus simple de punir Yuja les jours pairs et Tchang les jours impairs. Elle avait calculé qu'avec ce système, lorsqu’ils sortiraient de l'âge bête, ils auraient eu chacun leur quota exact de baffes éducatives.
Ce fut le professeur Giecomo Sponti Climati qui s'aperçut que quelque chose n'allait pas. En regardant le compteur d'étages, il s’aperçut que ceux-ci défilaient à une vitesse beaucoup trop rapide. Il comprit aussitôt que l'ascenseur tombait.
- Nous sommes en train de tomber, s'écria-t-il, il faut actionner la manivelle de sécurité tout de suite.
L'idée de l'actionner lui-même ne l'avait même pas effleuré. Issu de la vieille noblesse italienne, il répugnait à toute action manuelle. Il ne voulait pas se ridiculiser en n'arrivant pas à tourner la manivelle. Et puis après tout, il y avait assez de monde dans l'ascenseur pour le faire.
Arnoldo, le trader ailurophile, était hyper-concentré, il avait un coup énorme en vue qui ferait sa fortune et le bonheur de milliers de chats.
Racheter un maximum d'actions de l'entreprise Gromatou qui fabriquait et commercialisait des croquettes, cela ferait augmenter leur cours. Quand il serait au plus haut, il revendrait tout d'un seul coup pour provoquer un vent de panique qui ferait chuter le cours. Il pourrait ensuite tout racheter au plus bas et s'emparer de l'entreprise. Il pourrait vendre ses croquettes à prix cassé et même les chats de gouttières pourraient en profiter.
C'était un enjeu autrement important qu'un problème de manivelle. Il n'avait pas temps à perdre avec ces conneries-là.
En face de lui, se trouvait Mélanie Trumpette, une syllogomaniaque de génie spécialisée dans les boîtes de conserves vides, les prospectus qu'elle récupérait dans sa boîte aux lettres et les restes de pains devenus durs et immangeables. Elle n'en n'était pas moins un véritable bec à foin lorsqu'elle jouait sur son téléphone. En l'occurrence elle était en passe d'arriver au niveau 153 d'un jeu débile et addictif. Si elle le ratait, plusieurs jours de travail seraient perdus.
Comme il y avait d'autres personnes dans l'ascenseur, elle continua de jouer.
Le dernier passager, monsieur Sinto-Mas ne cru pas un instant que l'ascenseur tombait. Ne ressentant pas les effets de l'accélération, il pensait simplement que l'indicateur d'étages buguait et que l'ascenseur descendait normalement.
Au fond de lui, il était assez fier d'être le seul à ne pas paniquer, le seul à avoir compris ce qui se passait réellement. Il attendait avec impatience l'arrivée de l’ascenseur et il pourrait faire éclater son intelligence.
Le chiffre de gauche du compteur d'étage s'arrêta soudain de tourner, il indiquait maintenant 0.
Peut-être réveillée par la baffe qu'elle venait de prendre, ce fut Yuja qui réagit la première. Elle attrapa la manivelle et commença à la tourner. Malheureusement, elle était trop petite pour atteindre le point haut de la manivelle.
- Aide-moi Tchang, sinon on va tous mourir.
Tchang essaya de l'aider mais en hélas en ce qui concerne la taille, l'addition de nains ne fait pas un géant et ils n'arrivaient toujours pas à faire un tour complet.
Les autres passagers étaient sortis de leur torpeur, ils considéraient les deux enfants en commençant à s'interroger.
- C'est incroyable qu'il n'y ait que ces deux enfants qui réagissent, se disaient-ils, personne d'autre ne se bouge le cul ! C'est incroyable l'égoïsme des gens.
Pour être juste, la plupart conclurent que c'était important et qu'ils allaient donner un coup de main pour aider les jumeaux.
À ce moment, l'indicateur d'étage indiqua 0000, l'ascenseur se cracha au rez de chaussée.
Dieu merci, personne ne souffrit. Tous les passagers furent écrabouillés en une fraction de seconde.
Les morceaux de cervelles épars sur les murs ne surent jamais qu'avec une peu plus de réactivité, une autre fin aurait été possible.
John Duff, mai 2022
L’Agenda Ironique d'avril est hébergé par Jean-Louis pour son blog Tout l'opéra (ou presque).
Le thème général sera « Les Fées sont d’exquises danseuses », mais vous pouvez aussi travailler sur « L’effet son, d’exquises danses, heu(ses) » ou encore, si vous êtes cyclistes, « Les fesses ont d’exquises danseuses ».
Il vous faudra glisser ici ou là quelque heureuse homophonie, et si vous réussissez à glisser les mots calembredaine, palimpseste et archéoptéryx, vous gagnerez les félicitations du jury.
Meurtre au Colisée
Une sale affaire pensa le commissaire Bougret, les indices sont plutôt minces.
Le régisseur du Colisée à Roubaix avait été assassiné, étranglé. On avait retrouvé son corps dans le piano à queue de la salle de spectacle. Le régisseur avait été vu vivant dans la grande salle à 14 h. Entre ce moment et celui où on avait découvert son cadavre, seules trois personnes avaient pénétré dans cette pièce.
La première personne qui était restée seule avec lui était Iouja Wang, une pianiste au fort accent chinois. Puis, s'étaient succédé dans la salle la danseuse russe Raspoutina et le ténor mexicain Juan-Luis, c'est ce dernier qui avait découvert le cadavre.
D'après le médecin légiste, le régisseur était mort vers 14 h 30.
Le commissaire étudia la salle sous tous les angles. Il s'attarda spécialement sur le piano et ses accessoires, le métronome, jusqu'aux partitions qu'il sembla déchiffrer comme un étudiant de première année de conservatoire. Il convoqua ensuite les trois suspects, il commença par interroger la pianiste :
- Connaissiez-vous le régisseur ? Demanda le commissaire.
- Gelé rang contré lampe assez, répondit Iouja.
- Jeux l'errant con très lampassé, répéta phonétiquement le commissaire sans comprendre, qu'est-ce qu'elle me raconte ? Puis saisissant soudain le sens de la phrase, il s'exclama :
- Sapristi, quel accent, il va falloir vous décoder mademoiselle. Qu'avez-vous répété comme musique ?
- Lèpre élude 2 chauds pains aux puces 10 huitres.
- L'avez-vous tué ?
- Je vous jure que non.
- Pourtant le régisseur est mort à 14 h 30, vous avez commencé à répéter les préludes de Chopin à 14 h. Comme ce morceau dure environ 40 minutes, vous seule pouvez l'avoir tué.
Iouja éclata en sanglots :
- Je vous jure que ce n'est pas moi, je ne comprends pas ce qui s'est passé. Je ne le trouvais pas sympathique mais je ne l'ai pas tué.
- C'est bon, dit le commissaire, je vous confronterai avec les autres suspects tout à l'heure, j'en ai fini avec vous pour l'instant.
Le commissaire fit entrer la danseuse Raspoutina.
- Connaissiez-vous le régisseur ?
- Oui, c'était un brave homme, je suis dévastée par ce crime atroce.
- À quelle heure êtes-vous arrivée dans la salle de répétition ?
- À 14 h 40, Mlle Wang finissait de répéter ses préludes, j'ai attendu qu'elle ait complètement terminé.
- Le régisseur était-il là ?
- Je ne l'ai pas vu. Mlle Wang a terminé sa répétition et elle est sortie. Je l'ai ensuite remplacée sur la scène.
- Quel spectacle avez-vous répété ?
- Je tiens le rôle de la fée Clochette dans une pièce tirée du dessin animé Peter Pan.
- Et ensuite ?
- J'ai répété pendant environ 20 minute puis j'ai été rejoint par Juan-Luis qui tient le rôle de Peter Pan dans la pièce. J'ai ensuite quitté la scène et laissé Juan-Luis répéter tout seul.
Le commissaire fit ensuite venir le ténor et l'interrogea à son tour.
- Connaissiez-vous le régisseur ?
- Non, pas spécialement, ce n'est que la deuxième fois que je chante dans ce théâtre.
- C'est vous qui avez découvert le cadavre ?
- Oui, quand Raspoutina est sortie, j'ai voulu m'accompagner au piano. C'est en l'ouvrant que j'ai découvert le cadavre.
- Avez-vous remarqué quelque chose de spécial ?
- J'ai croisé Mlle Wang à la cafétéria après qu'elle a terminé sa répétition, elle était très pâle et toute essoufflée.
Après avoir interrogé séparément chacun des suspects, le commissaire les rassembla dans la grande salle. Il bourra sa pipe en observant les trois personnes assises en face de lui. Il se gratta un instant l'oreille, puis, remarquant un pansement au bout du doigt de Raspoutina, il s’écria :
- Bon sang, mais c'est bien sûr ! Si les fées sont d'exquises danseuses, elles sont en revanche de bien piètres menteuses. Raspoutina, vous m'avez raconté des calembredaines, je vous arrête pour le meurtre du régisseur.
Raspoutina devint pâle comme un linge.
- eéuqsaméd été ai'j eitsirpaS . S'écria-t-elle toute retournée ? énived suov-zeva tnemmoC.
- Élémentaire, répondit le commissaire, votre pansement au doigt. J'ai remarqué que le métronome sur le piano était aussi taché de sang, comme si une personne non habituée avait voulu le manipuler. Je vous accuse d'avoir d'avoir réglé ce métronome sur une cadence beaucoup plus rapide que celle indiquée par Chopin. Par ailleurs, je me suis aperçu que les partitions étaient de véritables palimpsestes, en grattant le blanco je me suis aperçu que des blanches avaient été maquillées en noires et certaines noires en croches, voire en double croches, toujours dans le but de raccourcir la répétition de Mlle Wang.
Ainsi Mlle Wang a joué les vingt-quatre préludes en sans doute moins d'un quart d'heure au lieu des 40 minutes habituelles. Très peu de pianistes sont capables de cet exploit, mais vous saviez que Iouja le pouvait. Cela rendait votre alibi inattaquable, cela explique également son essoufflement.
Vous êtes donc venue dans la salle vers 14 h 15 et non 14 h 40. Quand Mlle Wang est partie, vous avez assassiné le régisseur et mis son corps dans le piano. Mais pourquoi l'avoir tué Raspoutina ?
Rapoutina renifla :
- Je ne vous ai pas dit la vérité tout à l'heure, cet homme était un monstre. Comme je ne voulais pas céder à ses avances, il voulait me faire remplacer. Il faisait courir le bruit que ma danse de fée clochette ressemblait à un vol d’archéoptéryx.
John Duff, avril 2022
L’Agenda Ironique de mars est hébergé par Brigetoun pour son blog paumée.
Le thème est : l'attente. Il faudra utiliser les mots frémissement, zéphyr, frimas, velours, fendre, torrent, seuil et sarriette.
Les propriétés antiseptiques de la sarriette
Bon, je dois me résoudre à vous avouer quelque chose, j'ai triché dans ma participation à l'Agenda Ironique de ce mois-ci. Je sais bien, ce n'est pas glorieux. Mais, avant que vous ne me jetiez la pierre, je voudrais vous expliquer les raisons qui m'ont amené à commettre cette infamie. Peut-être me pardonnerez-vous.
Toute ma vie, j'ai attendu.
Avant même de naître, j'attendais. Dans le ventre de ma mère, j'entendais les bruits assourdis venant du dehors et j'avais hâte de sortir pour découvrir le monde.
Bébé, j’attendais de savoir marcher pour aller chercher les bibelots sur l'étagère, j'attendais qu'on ait changé ma couche pour satisfaire mes besoins naturels.
Plus tard, j'ai eu hâte de grandir pour voir les choses de dessus. Je voulais faire partie du monde des « grandes personnes ". Le seul meuble qui ne me faisait pas languir d'être grand était la table car j'avais remarqué qu'il se passait parfois en dessous des choses beaucoup plus intéressantes qu'au-dessus. Des frôlements de pieds, des genoux, des frémissements de cuisses qui se termineraient, peut-être, plus tard, ailleurs...
À l'école, j'attendais la fin des cours, j'attendais les week-ends, j'attendais Noël, j'attendais les vacances.
J'ai enfin commencé à grandir, je suis entré dans ma période geek. L'addiction aux jeux sur Internet est organisée d'une manière tout à fait subtile, les possibilités de jouer sont toujours limitées dans le temps, elles sont dépendantes de points ou de vies qui arrivent au compte-goutte et qui forcent à se reconnecter à tous moments dans la journée. Comme tous les joueurs, après avoir utilisé toutes mes vies, j'en attendais de nouvelles. Je mettais mon réveil au milieu de la nuit pour être le premier à utiliser une lettre qui me donnerait un mot décisif dans un jeu de scrabble en ligne ou des points de bonus qui allaient me permettre d'aller porter une attaque victorieuse dans un jeu de baston.
Plus tard, j'ai attendu la femme de ma vie. Mais, plus on est pressé, moins les choses viennent vites. Ma future m'attendait également et sans un heureux concours de circonstances, nous ne nous serions jamais rencontrés. C'est une grève des transports en commun qui nous a réuni sur un même quai bondé. Puis, quand la rame est enfin arrivée, c'est la foule compacte qui nous a emporté, rapproché puis tassés l'un contre l'autre. Nous ne nous sommes jamais séparés.
En parallèle, j'ai fait des études en procrastination. Pour mon doctorat, j'ai soutenu avec succès la thèse :
« Il n'est aucun problème que l'on ne puisse résoudre en ne faisant rien ».
Et puis un jour, j'en ai eu marre d'attendre. Je me suis dit : Lorsque l'archange Michel pèsera mon âme, il est certain que c'est mon attente qui sera la plus lourde. Mais de quel côté de la balance va-t-il la mettre ?
L'attente n'est pas une mauvaise chose en soi, il vaut mieux attendre plutôt que de faire une mauvaise action, il faut tourner sept fais sa langue dans sa bouche pour éviter de dire une bêtise. Mais d'un autre côté, toute cette inaction vient en déduction de bonnes actions que j'aurais pu faire, mais que je n'ai pas faites. Il est probable que mon inaction ne me soit pas comptée en ma faveur.
Dans le doute, j'ai décidé d'arrêter de procrastiner et j'ai essayé de rattraper le temps perdu. Je me suis lancé dans toutes sortes d'activités. Je fais maintenant toujours plusieurs choses en même temps. Je m'entraine à la jonglerie en rangeant la vaisselle. J'ai repris le footing et je révise mes leçons d'anglais en courant. Je fais ma liste des courses pendant le sermon de la messe dominicale.
Donc, tout ce préambule pour vous expliquer qu'il y a quelques jours, lorsque j'ai décidé de participer à l'agenda ironique, j'ai eu un problème. Je me suis assis devant mon ordinateur et j'ai commencé à réfléchir, aucune idée n'est venue. J'avais beau tourner le défi de l'AI dans tous les sens, rien, pas même un petit mot à placer.
Au bout de trois heures, ce n'était plus tenable. Je ne pouvais pas rester à attendre, cela aurait été une faute morale qui pouvait me coûter le paradis.
J'ai donc été contraint d'aller sur Google et j'ai tapé dans la barre de recherche les différents mots du défi : frémissement, zéphyr, frimas, velours, fendre, torrent, seuil et sarriette.
Vous trouverez ci-dessous la page qui m'a été régurgitée en première position, elle constitue ma honte et ma participation à l'agenda ironique de mars :
Titre: | Propriétés digestives, stimulantes, antiseptiques, et vermifuges de la sarriette (Satureja montana L.) et de la plante de velours (Gynura frimas). |
Auteur(s): | Wuya Jang, pianiste à l'Université de Beijing. Arnoldo Salieri, professeur à l'Université Lilloise de Procastination |
Mots-clés: | Satureja montana L. Gynura frimas Caryologie Héxadécanoïque Tétraploïdie Cytotoxicité |
Date de publication: | 11 mars 2022 |
Résumé: | La méthodologie d’échantillonnage a consisté à fendre les plantes dans la longueur puis de les écraser au pilon afin d'en extraire les huiles essentielles. Cette étude histologique de la sarriette (Satureja montana L.) et de la plante de velours (Gynura frimas) a mis en évidence une importante diversité dans la forme et le nombre des différents tissus au niveau des racines, des tiges et des feuilles. Le dénombrement chromosomique a révélé la présence d’une tétraploïdie pour les deux espèces; Satureja montana L. à 2n= 4x= 20+ 2B et Gynura frimas à 2n= 4x= 40. L'analyse des huiles essentielles de deux espèces par GC et GC/MS a permis d'identifier 75 composés avec une variabilité interspécifique importante, dont l’abondance de l’acide gras, l’acide héxadécanoïque (18,40%) dans l’HE de Satureja montana L. et L’alcool, Pentanol[3methyl] (25.70%) dans l’HE de Gynura frimas. L’activité antibactérienne des deux HE est modérée sur les souches ATCC testés. Le seuil de l’effet cytotoxique des deux huiles essentielles est faible avec un IC50 de 251μg/ml pour Satureja montana L. et de 265μg/ml pour Gynura frimas à la concentration 0,04%. Par ailleurs, l'étude histologique a été complété par une étude clinique d'administration de ces huiles essentielles en double aveugle. La plante de velours permis d'identifier des effets stimulants, antiseptiques et diarrhéiques de type « torrent ». L'administration de la sarriette dans l'accompagnement des grillades cuites au barbecue a montré un rehaussement du goût, particulièrement par temps ensoleillé et léger zéphyr. |
Dans l'attente de votre verdict...
John Duff, mars 2022
L’Agenda Ironique de février est hébergé par Joséphine Lanesem.
Le thème est : Le diable au corps. Il faudra faire s'exprimer une partie du corps avec son propriétaire. Il pourra exprimer la gratitude, des reproches, un secret ou de la nostalgie. Le choix de la partie du corps qui s'exprime est totalement libre. Une touche d'érotisme est autorisée.
Les dunes de l'île de Sein
Le facteur Hématie adorait la nature. C'est pour cette raison qu'il avait choisi de s'établir dans le Bas-Rhin, pour y admirer les chutes dont tout le monde s'accorde à dire qu'elles sont superbes.
Hématie était amoureux aussi, mais il ne savait pas comment procéder pour conquérir l'objet de son désir. Toutes ses tentatives d'approche étaient restées vaines, les filles ont un comportement tellement étrange !
Aussi décida-t-il de demander conseil à ses clients qui étaient pour la plupart des amis.
Sa première cliente était Marguerite, la fleuriste de la ville de Foix. Après lui avoir distribué son colis, il entreprit de lui raconter ses problèmes de cœur.
- J'ai ce qu'il te faut, Hématie, il faut que tu lui offres des fleurs, tu verras, l'effet est garanti. Il me reste six roses rouges, toutes les filles savent que c'est le symbole de l'amour. Prends-les.
Hématie acheta les fleurs, mis les six roses de Foix dans sa besace et continua sa tournée.
Il devait ensuite distribuer une lettre recommandée à M. Dugland, le patron du sex-shop. Sa boutique était tout en longueur, chaude et sombre. L'atmosphère était moite, on avait l'impression que d'anciennes inondations planaient dans l'atmosphère. Il faillit d'ailleurs tomber tellement le sol était glissant.
En signant son recommandé ils discutèrent du meilleur moyen de séduire les filles.
- Ne te prend pas la tête, lui dit le gérant. Toutes les filles sont pareilles, pour dix euros, je te les offre toutes et je te les garantis sans prises de tête. Entre dans cette cabine, mets deux euros dans le monnayeur et tu m'en diras des nouvelles.
Hématie entra dans la cabine et mit ce qu'il fallait dans la fente. Il ressortit de la cabine une demi-heure plus tard, il se sentait ramolli, comme dégonflé, mais pas vraiment satisfait.
Son client suivant se trouvait plus loin dans le Nord. Pour s'y rendre, il devait emprunter une sorte de boyau très long qui tournait et retournait dans tous les sens, impossible de doubler. La plupart du temps, il était encombré, surtout à certaines heures.
Il ne put s'empêcher d'interpeller l'étron (il faut bien l'appeler ainsi) qui bloquait le passage devant lui :
- Il est con s'type Hé !
Ce à quoi l'étron lui répondit fort grossièrement :
- Je t'emmerde !
Arrivé au bout du boyau, il avait l'estomac dans les talons. Il décida d'aller casse-croûter sur l'île de Sein toute proche. Il adorait cette île pour plusieurs raisons. Tout d'abord pour sa beauté, elle était constituée de deux dunes symétriques d'une forme parfaite. Un sable jaune pâle tiède, très fin, moelleux même.
La seconde raison est que cette île abritait l'élue de son cœur. Une petite chinoise qui tenait un piano-frites, « Chez Yuja ». Hématie venait autant pour Yuja que pour les frites.
Après avoir mangé en écoutant Yuja lui jouer quelques notes, il se décida à se lancer :
- Yuja, je voudrais te dire... (silence)... je suis amoureux... de tes dunes.
Yuja éclata de rire.
- Tu es un vrai malade, on ne tombe pas amoureux d'une dune. Vas te faire soigner, il y a un psychiatre à La Teste.
C'était justement son point de distribution suivant. Il prit la Carotide-Express, en constatant piteusement qu'il n'avait même pas pensé à lui donner ses fleurs.
Les chemins de La Teste sont plus étroits que partout ailleurs, des passages à peine praticables encombrés d'un réseau électrique défaillant qui produisait de manière aléatoire des étincelles, des arcs électriques et parfois des feux d'artifices.
Il n'avait pas de courrier pour le psychiatre, mais il devait livrer du matériel électoral aux deux principaux partis politiques de la région. Les Reptiliens et le mouvement du Néocortex.
Les Reptiliens prônaient la sécurité individuelle par-dessus de tout. Ils étaient très individualistes et pensaient qu'on ne réussit que par la force. Pour se protéger, ils souhaitaient développer toujours plus la police et de l'armée.
Ils donnèrent à Hématie ce conseil :
- Si tu veux qu'elle t'aime, il faut qu'elle t'admire. Sois fort, sois viril, écrase tes concurrents. Elle viendra toute seule à toi.
Le mouvement du Néocortex avait d'autres valeurs. Historiquement, c'était l'entraide, la coopération et le partage, mais dans ces dernières années, le mouvement avait sombré dans le wokisme. Apprenant que Yuja était chinoise, ils lui dirent :
- Ne prononce jamais le mot « jaune » devant elle. Elle pourrait prendre ça pour une agression coloniale et se sentir stigmatisée. Si tu veux la féliciter sur son teint, dis-lui plutôt, « tu n'es ni rouge, ni bleue », ou, mieux encore, « tu es non-violette ».
Entre ces avis contradictoires, impossible de savoir qui avait raison. Hématie repartit tellement troublé de La Teste qu'il prit la Carotide à contre-sens et faillit heurter un convoi de leucocytes de plein fouet, heureusement que ses plaquettes de frein étaient en parfait état.
Hématie s'achemina tristement vers le dernier client de sa tournée. C'était Aymé, il tenait la boucherie " Au cœur tendre ", derrière la côte, juste en face de l'île de Sein. Il lui amenait un carnet de timbre « Saint-Valentin » qu'il lui avait commandé la veille. Il lui raconta ses malheurs et la situation inextricable dans laquelle il se trouvait.
Aymé lui donna ce conseil :
- Tout d'abord, les fleurs s'offrent toujours par nombre impair, tu n'en as que six, je vais te donner une " fleur d'Aubrac " pour compléter ton bouquet.
- Tu es sûr ? Demanda Hématie un peu hésitant.
- Tout à fait. Maintenant, il faut que tu y retournes pour offrir tes fleurs. Laisse parler ton cœur, ne réfléchis pas à ce qu'il faudrait que tu dises ou à quel personnage tu veux jouer, sois toi-même. C'est le cœur qui commande tout. Dis-lui ce que ton cœur te dicte de dire, tout ira bien.
Hématie partit pour l'île de Sein. Que ce passa-t-il ensuite ? Rassurez-vous, tout fini bien, c'est la Saint-Valentin. Yuja accepta les fleurs d'Hématie, celui-ci emménagea quelque temps plus tard sur l'île où il put chaque jour gravir les dunes qu'il aimait tant. Le soir, il aidait Yuja à faire des frites et quand les clients étaient partis, ils jouaient du piano à quatre mains toute la nuit.
John Duff, le 14 février 2022
L’Agenda Ironique de janvier est hébergé par Lyssamara.
Il devra commencer par cet extrait tirée du journal intime de Madame Bovary :
" Tandis que les autres demeuraient silencieux, il se mit à aller et venir, fouillant dans tous les tiroirs "
et contenir la phrase suivante :
" Je m'attache très facilement "
Il devra comporter un désir de nouveauté salvatrice et une part de rêve.
Il faudra également utiliser les mots suivants : étendre, galet, sicaire, céphéide, ange, se revancher et revif.
La Troisième Guerre mondiale
Tandis que les autres demeuraient silencieux, il se mit à aller et venir, fouillant dans tous les tiroirs.
Où ai-je bien pu laisser la clé de la mallette, se dit le Président. Il finit par la retrouver dans la doublure de sa veste. Il la ressortit un peu gêné par cette contingence matérielle à un moment aussi dramatique.
Il ouvrit la mallette et en sortit un épais dossier qu'il posa sur la table. Des mois de recherches et d'analyse, des mois d'espionnage cybernétique et satellite pour étayer cette question. Fallait-il déclencher une guerre contre le royaume de la Céphéide ?
C'était l'objet du Conseil des ministres.
La Céphéide était un petit état d'Asie. Son roitillon l'avait renommé dans un éclair de mégalomanie : royaume de la Céphéide pour indiquer que son royaume était une étoile qui brillait sur le monde. Depuis, il provoquait tous les pays occidentaux et ne respectait aucune règle ni traité. Récemment, on s'était aperçu qu'il traitait avec des mafias internationales pour acquérir l'arme nucléaire.
Après huit heures de tractation, les ministres n'étaient toujours pas parvenus à un accord. Difficile de savoir si les bénéfices de la guerre, c'est-à-dire la neutralisation d'un fou dangereux seraient supérieurs au coût en morts, en destructions et à la misère que la guerre engendrerait. Le Président décida de suspendre le conseil et reporta la décision finale au conseil de la semaine suivante. Lorsqu'il ne resta plus que le Président et le Premier ministre dans la salle, le Président lui dit :
- Monsieur le Premier ministre, ma conviction est faite. Je ne vais pas vous la dire, mais les yeux dans les yeux, si vous étiez à ma place, est-ce que vous appuieriez sur le bouton ?
Le premier ministre sourit mais ne répondit rien. Non pas parce qu'il n'avait pas d'opinion, mais parce qu'il ne savait pas quelle réponse attendait le Président. En politique, la franchise paye rarement.
Voyant son hésitation, le Président rajouta :
- Dites-moi ça au prochain conseil.
En traversant la cour du palais, le Premier ministre réfléchissait. Ce n'était sûrement qu'une boutade mais il était possible que le Président hésite encore. De sa réponse dépendait peut-être la vie de milliers de personnes. De sa réponse dépendait le futur de la planète. Et ce changement serait irréversible.
Pour les décisions importantes, il consultait toujours le ministre en charge du dossier, en l’occurrence le ministre des Armées. Il décida de lui poser cette question de la même manière informelle.
- Monsieur le ministre des Armées, ma conviction est faite et je ne vais pas vous la dire. Mais, les yeux dans les yeux, si vous étiez le Président, est-ce que vous appuieriez sur le bouton ?
Le ministre des Armées sourit mais ne répondit rien, il n'en avait pas la moindre idée. Il n'avait d'ailleurs jamais eu d'idées. Il avait une compétence, il était psychopathe. Il avait le talent rare de diviser les gens, de les monter les uns contre les autres puis de les écraser, un vrai sicaire. Il était parvenu, avec ce talent singulier, à parvenir aux plus hautes fonctions de l'État. Mais il ne connaissait aucun de ses dossiers. Il avait des conseillers qui les préparaient et lui se contentait de les parapher. L'avantage de ce système était évident. Si une décision s'avérait mauvaise, il suffisait de faire sauter le conseiller.
Il appela Marchin, son souffre-douleur préféré, directement de sa voiture.
- Marchin, vous avez été associé au montage du dossier sur la guerre de la Céphéide. Dites-moi Marchin, si vous étiez à la place du Président, vous la déclencheriez cette guerre ?
Marchin n'en menait pas large, il savait que derrière le sourire bonhomme du Ministre, c'est sa tête qu'il jouait.
- Mais, Monsieur le ministre, je n'ai pas tous les éléments du dossier.
- Dans cinq jours Marchin.
Il est vrai que Marchin n'avait pas tous les éléments. Il connaissait bien tout ce qui concernait l'armée, mais il n'avait pas toutes les informations révélées par l'espionnage, ni les données psychologiques du roi-tyran. On le disait fou et capable de riposter avec une force nucléaire qu'il n'était pas supposé posséder. Ce choix était vraiment le plus difficile auquel il avait été confronté, même si sa réponse se résumait à trois lettres, OUI ou NON.
Lorsqu'il eut cet appel, Marchin était avec sa maîtresse, miss Wang, une Chinoise qui lui faisait oublier les avanies de son chef en lui jouant du piano. Elle lui donnait du revif avec Gershwin. Il se revanchait en écoutant Tchaïkovski.
Je m'attache facilement, pensait Marchin, je pars pour une relation physique et cela débouche sur un attachement plus profond. Il aurait voulu le regretter mais dans le fond, ne le regrettait pas.
Ils avaient fait l'amour et maintenant ils revenaient doucement à la vie dans le sauna. C'était l'heure des confidences sur l'oreiller. Il remit de l'eau sur les galets brûlants :
-Tu sais miss, demain le Président va décider si nous allons entrer en guerre. Sans t'étendre sur les raisons de ton choix, penses-tu que ce serait une bonne idée ?
Miss Yang ne répondit pas. Comment aurait-elle pu avoir un avis sur un sujet aussi complexe qui mobilisait toutes les élites de l'État depuis des mois ?
- Je ne sais pas répondit-elle. Je vais y réfléchir, on se voit demain ?
- Bien entendu, mon ange
- je te dis ça demain.
Ils se voyaient généralement pendant la journée car miss Yang s'occupait de son jeune frère, Tchang. Celui-ci était un peu simplet, il habitait chez miss Yang et travaillait dans un établissement spécialisé.
Le vendredi vers 9 h, alors que Tchang allait prendre le car de ramassage qui l'emmenait au travail, elle repensa soudain à sa question de la veille. Fallait-il déclencher les hostilités ? Elle n'en avait toujours pas la moindre idée. Elle s'en remit au hasard. En embrassant Tchang, elle lui prit la tête entre ses mains et le regardant dans les yeux lui posa la question :
- Tchang, faut-il faire la paix ou la guerre ?
Tchang n'avait pas d'idées précises sur les notions de guerre et de paix. En se fondant sur les expressions du visage de sa sœur, il devina que la guerre était l'équivalent de « être en colère » et la paix signifiait « faire un câlin ». Comme il n'aimait pas aller travailler, il arracha sa tête de ses mains et répondit d'un ton rageur :
- La guerre.
...
- C'est une bonne idée, dit miss Yang.
...
- OUI, dit Marchin
...
- Il faut faire la guerre, dit le conseiller psychopathe.
...
- La guerre est la seule option possible dit le ministre des armée.
...
- Je pense que c'est la moins mauvaise solution, dit le Premier ministre.
...
- Qu'il en soit ainsi, dit le président.
Et c'est ainsi que fut déclenché un conflit qui déboucha quelques semaines plus tard sur la Troisième Guerre mondiale.
Bien que cette fin soit assez réaliste, je reconnais qu'elle ne sied pas forcement à cette période de joie et de bonheur. C'est pourquoi je propose, pour ceux qui le souhaitent, une fin alternative plus suceptible de les faire rêver.
- Vous êtes un con répondit le Président, je ne serai pas le fou qui aura déclenché la Troisième Guerre mondiale.
John Duff, janvier 2022
L’Agenda Ironique de décembre est hébergé par Patrick Blanchon.
Il devra mettre en avant la question : Le Père Noël existe-t-il vraiment ? Il devra utiliser les mots : tintinnabuler, orange, étincelle, écarquiller, introït, jeûne, moyeu, rayon, centre, Saint (ou une homophonie), étoile, conifère ainsi que le nom du premier renne du père Noël.
Conte de Noël
Il était une fois...
Comme dans un conte d'Andersen, la neige avait recouvert le village de son blanc manteau.
Jayu et sa maman habitaient une masure au bout de la rue principale du village. Elles étaient deux immigrés Ouïghoures qui s'étaient sauvées du Xinjiang pour échapper aux persécutions du pouvoir chinois.
Jayu était triste. Jayu était toujours triste, car son père lui manquait. Il était prisonnier dans un camp de rééducation à l'autre bout du monde. Mais aujourd'hui, elle était encore plus triste que d'habitude, parce que ce soir, c'était Noël. Elle savait que le père Noël ne passerait pas, il ne passait jamais.
Les autres enfants avaient à manger tous les jours, ils avaient une maison chauffée, toute leur famille, et en plus, ils avaient des cadeaux à Noël. Elle qui n'avait rien de l'indispensable ni même du nécessaire, elle n'avait même pas un petit cadeau en compensation. Elle trouvait cela injuste, mais qu'y faire ? Elle s'était habituée. Elle ne luttait pas, elle se mettait de profil pour que le malheur s’accroche le moins possible à elle. Elle essayait de ne voir que les points positifs de la vie.
Comme elle avait ramassé le matin une orange qui était tombé d'un étal au marché, elle pensa :
- Au moins ce soir, je ne vais pas jeûner, une orange, c'est un repas de fête.
Elle éplucha son orange comme lui avait appris son amie Gibulette, sans abîmer la peau et en gardant le filament blanc au milieu pour en faire une mèche. Elle mit un peu d'huile au fond de la pelure et alluma sa bougie.
- Ce soir, j'ai mon sapin de Noël.
Une congère de neige montait jusqu'au milieu de la fenêtre et bouchait le trou d'un carreau cassé.
- Aucune bise ne rentrera par là, se dit-elle. Je n'ai pas besoin de prendre quatre couvertures, deux suffiront amplement.
Elle se mit sous ses deux couvertures et commença à manger le premier quartier de son orange. Elle mangeait lentement et avec application parce que l'orange devait durer jusqu'au retour de sa mère qui était partie récupérer quelques pièces de monnaie à l'entrée de l'église.
Le père Noël était bougon, son travail ne l'intéressait plus autant qu'avant. Plus personne ne croyait en lui. Dès qu'ils savaient parler, les enfants racontaient qu'il n'était qu'une fable pour les bébés, que c'étaient les parents qui achetaient des cadeaux. Lui, il continuait de faire sa tournée avec conscience professionnelle, cela faisait mille ans qu'il la faisait, mais le cœur n'y était plus. Il savait que dès le lendemain matin, les enfants allaient échanger leurs cadeaux ou les revendre sur Internet pour s'acheter des inepties.
Donc il continuait de faire sa tournée avec rigueur, mais il la faisait le plus rapidement possible. Il était tout le temps en train de houspiller son renne de tête qui réglait l'allure des autres :
Plus vite Rudolph, plus vite !
Cette année, il avait fait sa tournée si rapidement qu'en passant devant l'église, il entendit l'introït qui débutait à peine. Il avait fini sa tournée et il n’était pas encore minuit !
Mais il aperçut soudain un paquet qui restait au fond de son traîneau.
- Qui ai-je bien pu oublier, se dit-il ?
Il reprit le parchemin marqué de son seing avec liste des enfants et de leurs cadeaux.
Lire une liste d'enfants en conduisant un traineau est aussi dangereux que téléphoner en conduisant une voiture. Il ne vit pas une ornière cachée sous la neige et la prit de plein fouet. La roue se bloqua et le moyeu et les rayons cassèrent nets.
Le père Noël et ses clochettes firent un vol plané et s'écrasèrent en tintinnabulant sur la masure de Jayu et de sa maman.
Jayu entendit un gros boum contre la porte et ressortit de son lit pour aller voir. Elle vit un vieux monsieur étendu devant sa porte. Il était plein de neige, de bosses et de coupures, ses habits étaient déchirés.
- Il est encore plus malheureux que moi, se dit-elle.
Elle le fit entrer, comme il avait l'air gelé, elle décida de lui faire du feu. Elle n'avait pas grand-chose à brûler à part un tas de branches mortes du thuya de la haie.
Elle disposa le bois au centre de la cheminée et entreprit de l'allumer, mais le bois était mouillé. Le thuya est un conifère qui brûle très mal, surtout mouillé. Le feu ne partait pas.
Tout le paquet d'allumettes y passa, lorsqu'elle n'en n'eut plus qu'une, elle s'arrêta. Elle n'osait pas la craquer de peur de la rater et de ne pouvoir offrir un peu de chaleur au vieux monsieur blessé. Elle était désespérée, le ciel allait être assez cruel pour lui refuser même une bonne action.
Mais le monsieur lui fit un sourire, il lui prit la boîte, craqua la dernière allumette et la jeta sans regarder dans la cheminée. Tout le bois s'enflamma d'un seul coup dans une gerbe d'étincelles.
Pendant qu'ils se réchauffaient, elle pensa qu'il avait peut-être faim, alors elle lui donna son orange.
Il faisait chaud maintenant, ils étaient bien.
Attend, dit le père Noël, j'ai quelque chose pour toi. Et il alla chercher au fond du traîneau le paquet non distribué.
Les yeux écarquillés, Jayu ouvrit le paquet, c'était un petit piano en bois rose et vert.
Jayu regarda le monsieur, il n'était plus blessé. Ses vêtements n'étaient plus déchirés. Il portait un pantalon, un manteau et un bonnet rouge ourlés de blanc. Les yeux pleins d'étoiles, Jayu reconnu le père Noël.
- Ce piano est magique, lui dit le père Noël, il te rendra tout ce que tu m'as donné ce soir.
Quand tu joueras, tu n'auras plus froid.
Quand tu joueras, tu n'auras plus faim.
Tant que tu joueras, tu auras toujours de l'amour.
Tout ce que tu joueras, ton papa où qu'il soit l'entendra.
John Duff, décembre 2021
L’Agenda Ironique de novembre est hébergé par Laurence Delis.
L’AI devra commencer par " Y a de la joie par-dessus les toits, du soleil dans les ruelles et novembre " et comporter les mots un puits – le passage – se taire.
Le titre de cette histoire se trouve à la fin
Y a de la joie par-dessus les toits, du soleil dans les ruelles et novembre est le mois de la fin.
Quelle ironie ! La joie et le bonheur me glissent dessus sans m'atteindre, je suis un ivrogne. La majeure partie de ma paye passe dans l'alcool, toutes mes économies sont déjà parties dedans. Ma femme m'a quitté il y a bien longtemps et je me détruis. J'en suis conscient et j'en souffre, mais je suis au fond d'un puits. Je n'ai pas assez de volonté pour m'en sortir. C'est pourquoi j'ai décidé que novembre était le mois rêvé pour arrêter ce supplice définitivement.
Je suis sorti, le vent du Nord était là. Pour ceux qui ne le connaissent pas, le vent du Nord est terrible. C'est un vent froid et humide, c'est plutôt une humidité glacée qui vous agresse et s'insinue au travers de toutes vos couches de vêtements, il vous gèle le corps et l'âme.
« Les gens du Nord ont dans les yeux le soleil qu'ils n'ont pas dehors – autre foutaise – c'est l'humidité qui délave tout, yeux et âmes. »
En cheminant je me demandais quel était le moyen le plus rapide, sûr et indolore pour en finir. À l'entrée d'un passage, une affichette scotchée sur la fenêtre d'un immeuble branlant a attiré mon attention. Elle disait :
WU JAYANG
Grand Marabout, médium, astrologue et guérisseuse
Pas de problèmes sans solutions – Efficacité 100 % rapide
Spécialiste du retour rapide de la personne aimée – Amour – Travail - Chance au jeu - Réussite dans le commerce – Protection & désenvoûtement – Santé – Examens & concours - Problèmes d'alcool
Réussite dans tous les domaines.
5ème étage 1ère séance gratuite
Pourquoi pas ? Qu'avais-je à perdre ? « La mort peut attendre » me conseilla l'affiche d'un cinéma de l'autre côté de la rue.
Alors, je suis monté au cinquième étage et j'ai frappé. Une petite chinoise m'a ouvert et m'a fait entrer. La lumière était tamisée et une transcription pour piano de la danse macabre meublait l'air.
Elle m'a fait asseoir et m'a posé des questions, je lui ai raconté mes problèmes. Ensuite, elle m'a pris mes mains dans les siennes et m'a sondé d'un regard acéré. Elle s'est aussitôt aperçue que mon âme était possédée par des démons, elle s'est mise à dialoguer avec eux. Elle posait des questions à voix basse et des coups frappés venus de nulle part lui répondaient. Ces coups étaient pour moi incompréhensibles, mais ma médium semblait très bien les interpréter.
Quand nous avons fini, elle était froide et sévère :
« Pour être honnête avec vous, ça va être long. Vous avez trop tardé à venir me voir, votre âme est possédée par plusieurs démons dont certains sont extrêmement coriaces. Si vous ne pouvez vous engager à venir me voir toutes les semaines pendant au moins trois mois, je préfère renoncer.
- Bigre, me dis-je, je n'ai pas prévu de vivre si longtemps. »
J'hésitais également pour une autre raison, si cette première séance était gratuite, les suivantes seraient payantes et je n'avais foutre pas de quoi les payer.
Voyant mon hésitation, elle entreprit de me convaincre.
« Faites un test, m'a-t-elle dit. Jouez au loto, je vous prédis qu'avec cette unique séance que nous venons d'avoir, il est quasiment certain que vous allez perdre. Si c'est le cas, revenez me voir
- Pourquoi-pas, je me suis dit. De toute façon, je peux interrompre le traitement à tout moment en me jetant dans la Deule, les noyés ne sont pas solvables. »
Je suis retourné la voir le mercredi suivant avec mon ticket perdant dans la poche. Nous partions sur de bonnes bases, sa première prédiction s'était avérée et j'avais réussi à économiser le prix de cette deuxième séance.
Nous avons continué, cela me faisait du bien. À force d'économiser sur la boisson, j'ai baissé ma consommation puis pratiquement arrêté de boire. Bizarrement cela ne m'a pas trop coûté.
Sept mois s'étaient écoulés et je sentais que j'allais mieux. Je voulais dire à Wu que j'allais arrêter ces séances, mais je reportais cette annonce d'une semaine sur l'autre. Un jour pourtant, j'ai abordé le sujet sur le ton de la conversation. C'est la seule fois où j'ai vu Wu en colère. Elle me cria que j'étais fou, que ce n'était qu'une illusion. L'esprit du mal était toujours bien présent en moi et si j’arrêtais maintenant, tout le travail serait perdu. Il fallait au contraire qu'on se voit plus souvent.
J'ai accepté, car au fond, je ne souhaitais pas arrêter ces séances, elles étaient devenues des îlots de calme. Chaque séance était un phare qui illuminait le reste de ma semaine. Une drogue en avait remplacé une autre, meilleure pour le foie, mais moins bonne pour le portefeuille. J'essayais vaguement de recommencer à parler à mes voisins et aux commerçants de mon quartier. Mais chaque fois que je racontais mon histoire, cela finissait invariablement par :
« Tu es fou, tu te fais escroquer, arrête de voir cette personne ». Alors, comme je ne pouvais pas les faire taire, j'arrêtais de voir le voisin ou le commerçant en question.
J'ai été obligé de faire des heures supplémentaires pour combler l'hémorragie de mes finances, mais je continuais de jouer au loto pour guetter le moment où la chance reviendrait.
Maintenant, nous discutions souvent après les séances, nous nous racontions nos vies. Wu n'avait pas eu de chance. Elle était originaire de Naliangzhen en Chine, pas très loin de la frontière du Vietnam. Pendant la Guerre du Vietnam, un avion américain s'était perdu au-dessus de la Chine à cause d'un orage magnétique et s'était écrasé sur son village. Son père était mort et ses quatre frères et sœurs estropiés et handicapés à vie. Elle m'a avoué qu'elle faisait ce métier pour subvenir à leurs besoins. Je lui ai demandé une photo de sa famille, mais elle n'en avait pas. Elle les avait toutes déchirées, car elle ne supportait plus de voir sa famille réduite à l'état d'épave.
Je ne sais pas comment cela est venu, je lui ai proposé de lui donner un peu d'argent pour l'aider à subvenir à leurs besoins.
Il me fallait financer cette nouvelle dépense, car les séances rapprochées ponctionnaient déjà la majeure partie de mon budget. Comme mon chef partait à la retraite, j'ai postulé son poste. La rage du désespoir m'a permis de l'obtenir.
Je n'envisageais plus d'arrêter les séances. J'avais même plusieurs fois tenté des approches pour dépasser le stade de la relation patient/thérapeute, mais je m'étais à chaque fois fait remettre à ma place.
« Tant que tu n'as pas gagné au Loto, mon travail n'est pas terminé, me disait-elle malicieusement. »
Cela s'est passé deux ans plus tard. J'ai gagné treize millions au Loto et Wu a accepté de se marier avec moi. Je suis le plus heureux des hommes.
Tout était vrai dans l'affichette de Wu : l'alcool, le travail, la chance au jeu, l'amour, tout était vrai !
J'ai terminé ma thérapie. Nous nous sommes mariés en novembre.
« Y a de la joie par-dessus les toits, du soleil dans les ruelles et novembre est le plus beau mois du monde.
Le bonheur, n'est-ce pas le plus important ?
Et le titre de mon histoire, me direz-vous. Eh bien elle s'appelle [du médium à l'annulaire], mais vous le dire trop tôt aurait tué le suspens. "
John Duff, novembre 2021
L’Agenda Ironique d’octobre est hébergé par Carnets paresseux.
L’AI devra raconter un " premier jour " auquel il sera possible de rajouter facultativement une écrevisse. En revanche, il est impératif de rajouter au minimum deux vers empruntés à l’ami Norge, au choix entre :
« la porte était lourde / ça faisait des heures »
ou
« j’attends de savoir / ce qu’il faut attendre ». Il est possible de rajouter quelques citations, mais en restant dans la limite du raisonnable.
Norge le poète
« Relis-moi Les chaises », demanda Ioula, Arnoldo s’exécuta :
« C’est une chaise qui a créé le monde : au commencement, il n’y avait que des chaises. Elles s’ennuyaient. Faisons-nous un homme, dit une chaise, un homme qui posera son séant sur notre siège, qui s’appuiera contre notre dossier, qui nous changera de place, qui nous polira, nous cirera, nous caressera. Cette chaise-là pensa l’homme si fortement que l’homme fut. Et l’homme, enfant de la chaise, vit de plus en plus assis. »
Ioula venait de découvrir Norge et elle était émerveillée. Arnoldo la comprenait car il se rappelait la première fois qu’il avait découvert ce poète belge et la forte impression qu’il lui avait fait. Il adorait cet univers féérique à la fois logique et absurde naviguant entre Magritte et Lewis Caroll.
Arnoldo habitait une mansarde au cinquième étage d’un immeuble. Il n’avait pas beaucoup de place, pas suffisamment en tout cas pour ranger sa collection des œuvres complètes de Norge. C’est pourquoi il avait eu l’idée de demander à son amie Ioula de traduire les poèmes en musique. Tout le monde sait que l’on peut mettre beaucoup de chose dans la musique. Quelques notes véhiculent souvent plus de sentiments et d’émotions que de nombreux volumes ne sauraient le faire.
Afin de remettre ces poèmes dans leur contexte, Arnoldo lui raconta quelques épisodes peu connus de la vie du poète.
Ainsi, lorsque les Belges réalisèrent qu’ils possédaient un poète d’une telle valeur, ils l’enfermèrent avec tous les trésors nationaux dans un coffre de la Banque centrale belge. Bien que flatté, Norge avait quand même un peu protesté, il trouvait que les autorités allaient un peu vite. Quand il avait demandé pourquoi il y avait des barreaux aux fenêtres. Le gouverneur de la banque centrale lui avait répondu que c’était pour éviter que les voleurs ne lui volent son or. Une réponse qu’il comprenait, mais qui ne le satisfaisait pas complètement. Pour passer le temps, il écrivait des poèmes sur les billets. C’est d’ailleurs là qu’il écrivit : La bonne fille.
Et chaque nuit, la merveilleuse enfant du geôlier se promenait toute nue dans les cellules et donnait du plaisir à tous les prisonniers. Quel pain d’amour avec le cruchon, la gamelle. Ineffable chaleur, on t’a bien reconnue, va ! Ô poésie, ô fleur de cadenas.
Ioula s’assit à son piano et commença à traduire le poème en langage musical. Elle s’imaginait bien être la visiteuse de prison. Pendant qu’elle composait Arnoldo continuait de lui raconter la vie du poète belge. Son mariage, la guerre, les voyages...
Ioula voulut savoir s’il avait reçu des prix, mais Arnoldo lui expliqua cela n’avait aucune importance :
« Les honneurs, les prix, les statues, les timbres-poste premier jour viennent après, ils couronnent le passé. Les poèmes ne servent pas à cela. Les poèmes sont utiles pour l’avenir, pour se projeter, pour rêver, Norge l’explique un peu dans les écrevisses.
Puisque les écrevisses marchent à reculons, le présent est pour elles toujours un passé qui s’ éloigne avec douceur tandis que l’avenir s’éclôt à tout instant comme une intacte surprise ; Ah ! Quel charme de vie !
Quand cette traduction fut finie, ça faisait des heures qu’ils travaillaient, on était au milieu de la nuit. Ils avaient faim, mais une pluie drue frappait les carreaux d’une manière dissuasive.
Ni l’un ni l’autre ne souhaitait sortir et affronter la pluie. Ils ne voulaient pas prendre une douche froide qui romprait le charme et la tiédeur de la poésie (tiens, une hypallage tardive).
" On va continuer, dit Ioula, je crois qu'il reste de la carbonnade et du filet américain. "
Arnoldo lui proposa de transcrire Le sang et l’eau.
J’ai bien peur que les parapluies n’attirent la pluie comme les sabres la bataille. L’un veut du sang, l’autre de l’eau. Et ça ne tarde guère. Dans ces pays où les gens sortent avec un parapluie, eh bien, il pleut presque toujours.
La nuit avançait, il pleuvait toujours, mais ils n’avaient plus faim. Ils se couchèrent sur le lit ne sachant qu’attendre, pour partager simplement leur émotion. Une mouche tournait autour de l’ampoule dans une quête improbable de la lumière. Ils la suivaient des yeux.
« J’attends de savoir où elle va se poser, dit Ioula. De ton côté du lit, on sort manger ; si c’est de mon côté, on éteint la lumière ".
Elle se posa sur le bras de Ioula, le cas n’était pas prévu, alors Arnoldo lui récita le Peuple-Roi :
J’ai toujours envié les mouches Qui boivent, mangent, qui se couchent Sans loi, sans heurt et sans façon et savent marcher au plafond.
John Duff, octobre 2021
L’Agenda Ironique de septembre est hébergé par Jean-Louis
L’AI devra tourner autour de soit « Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur », soit « Aboli bibelot d’inanité sonore » (c’est comme on veut). De plus, il est demandé que le texte comporte une amphibolie (ou une hypallage si l’amphibolie fait trop peur).
La tisane de météorites
Arnoldo était chasseur de météorite. Avec son assistante, Ioula, ils parcouraient le globe pour attraper ces petits cailloux tombant du ciel. Je dis bien " Chasseur " pas " cueilleur », les deux métiers sont différents. Le cueilleur de météorite cherche et ramasse les météorites tombées sur le sol, le chasseur, lui, les attrape au vol.
La chasse aux météorites est beaucoup plus compliquée et dangereuse qu’il n’y paraît. Elle demande un excellent sens de l’observation et des réflexes fulgurants.
Cette chasse ne se pratique que de nuit, car on ne les voit bien que dans l’obscurité. En traversant l’atmosphère, les météorites s’échauffent, deviennent brûlantes et laissent dans le ciel ces traces lumineuses qu’on appelle des étoiles filantes.
Je voudrais d’ailleurs faire ici une mise en garde si des jeunes enfants lisent ces lignes :
N’ESSAYEZ JAMAIS D’ATTRAPER DES MÉTÉORITES À LA MAIN, c’est très dangereux et vous pourriez vous faire très mal.
Pour ne pas se blesser, Arnoldo utilisait un gant de baseball et Ioula un chistera de pelote basque.
Pour être un bon chasseur de météorites, il faut également avoir une bonne oreille. On voit d’abord l’étoile filante, il faut se déplacer très vite vers la zone où elle va tomber. Arrivé sur place, c’est le léger sifflement du caillou volant qui permet de localiser exactement le point d’impact, il suffit d’ouvrir la main. Ioula était pianiste à ses heures perdues, elle avait une oreille musicale et était bien plus forte que moi à ce petit jeu.
Mais pourquoi chasser les météorites me direz-vous ?
Peu de gens le savent réellement. Beaucoup croient que les météorites ne sont que belles, que leur destin est d’être mises dans une vitrine avec d’autres spécimens de granites ou d’amphiboles pour y être admirées. C’est vrai, mais ce n’est pas tout.
On sait également qu’elles sont étudiées par les scientifiques qui analysent leur composition chimique et en déduisent l’histoire de l’univers. Ce n’est pas faux non plus, mais la vérité est plus extraordinaire.
Le véritable usage des météorites, c’est de faire des tisanes. Des tisanes aux pouvoirs magiques.
Ces petites pierres ont traversé des nuages interstellaires, des champs magnétiques, des naines rouges, des géantes bleues, elles ont traversé des froids intenses et des chaleurs extrêmes, elles se sont chargées de magie.
Le moyen de récupérer ces pouvoirs magiques est simplissime. Il suffit de concasser les météorites en une poudre la plus fine possible et de la faire infuser dans de l’eau bouillante, comme du thé. Le buveur de cette tisane obtiendra souvent un pouvoir ou une faculté magique. Cela peut être la guérison de maladies, l’apprentissage d’une langue étrangère, donner la main verte, cela peut provoquer des transformations physiques, que sais-je, le champ des possibilités est infini.
Le problème est qu’on ne sait jamais à l’avance quelle propriété aura une tisane, car on ne sait jamais exactement d’où vient une météorite, quels trous noirs stellaires elle a fréquenté, quelles irradiations elle a subie et quels pouvoirs en ont résulté.
Arnoldo et Ioula revendaient leurs pierres à Gibulette, une amie litho-thérapeute de son état. Elle préparait les tisanes, les conditionnait et les vendait dans sa boutique pour soulager les gens de toutes sortes de maux. Mais son premier travail était avant tout de tester chaque tisane pour en découvrir les effets. Arnoldo et Ioula étaient toujours ses cobayes volontaires. Pour eux, cela faisait partie du job.
Or donc, par une belle nuit d’août, Arnoldo et Ioula étaient en chasse lorsque deux trainées verte et rouge traversèrent le ciel au-dessus de la région qu’ils prospectaient :
« Deux qui viennent à l’est-sud-est, je crie,
- je les entends, répond Ioula, je prends la rouge. »
Une fraction de seconde plus tard, je regardais dans mont gant. J’avais un beau petit caillou aux reflets de malachite, Ioula une chondrite aimantée aux veinures rubis.
Au matin, nous sommes allés chez Gibulette pour lui montrer notre récolte de la nuit.
Elle nous vit passer par la fenêtre et nous accueillit très aimablement comme à son habitude.
« Beaux cailloux, dit-elle en voyant les spécimens, asseyez-vous, je vais faire deux tisanes pour bien séparer les effets de chaque pierre. »
Après avoir bu sa tisane, Ioula s’endormit presque instantanément, moi, je me suis transformé en crapaud un quart d’heure plus tard.
Gibulette était bien gênée.
" Oh, bonne mère, je connais ce sommeil, si on ne fait rien, elle en a pour cent ans. Je vais tenter une inversion de tisane. "
Il faut savoir que l’effet des tisanes de météorites est souvent sexué. C’est-à-dire qu’une même tisane produit des effets différents, parfois inverses, sur un homme et sur une femme.
Sitôt dit, sitôt fait. Gibulette m’attrape et me plonge dans la théière contenant la tisane de rubis puis remet le couvercle. Ensuite, elle introduit le bec de la théière de jus de malachite dans la bouche de Ioula et verse un peu de thé.
Le résultat ne fut pas non plus celui escompté. Moi, je me suis endormi dans la théière, quant à Ioula, elle s’est transformée en grenouille rousse... mais sans se réveiller.
" Boudiou de boudiou ! S’exclama Gibulette, me voila maintenant avec deux batraciens ronflants, cent ans d’insomnie garantis. "
Les bisous de princes ou de princesses pour réveiller les endormis ou redonner une forme humaine, ce sont des contes de fées. Tout le monde sait que cela n’existe pas. Mais Gibulette se souvint alors de ses anciennes études d’astrologie, et d’un bouquin qu’elle avait gardé et qui contenait des incantations très puissantes qui pouvaient peut-être annuler les effets délétères des tisanes de météorites.
Après nous avoir placé au milieu d’un pentagone tracé avec le thé, elle lança l’incantation :
Tel qu’en vous-même enfin cette incantation vous change,
Je vous exhorte avec ce glaive nu
Que ce siècle de sommeil soit non avenu,
Qu’il ne triomphe pas dans ce philtre étrange !
Rien ne se produisit, Gibulette continua :
Donner un goût plus pur ou mettre cette tisane au rebu,
Je proclame l’annulation du sortilège bu
Dans le flot sans honneur de ce noir mélange.
À ce point de l’incantation, Arnold et Ioula commencèrent à bouger.
Calmes blocs ici-bas chus d’un désastre obscur
Que ces granits du ciel cachent à jamais leurs cornes
Et reportent leurs pouvoirs dans le futur.
À ce point de l’incantation, Arnoldo et Ioula se réveillèrent et reprirent leur forme humaine.
" Fais-nous un bon café, j’ai dit à Gibulette, je me sens un peu vaseux. "
John Duff, septembre 2021
L’Agenda Ironique d’août est hébergé par Max-Louis
Le thème du mois est le mot : fable.
La contrainte stylistique est de placer la citation : Une lettre se détache de notre nom et nous ne sommes déjà plus.
La rose et la rosse
Une lettre se détache de notre nom et nous ne sommes déjà plus.
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un poisson russe et une rosse pleine de bosses,
Chose cocasse, avaient des frissons d’amour.
Voulant l’embrasser, la sole baissa sa chausse,
Mais, même sur un coussin, elle n’arrivait pas à sa cuisse.
" Il faudrait que tu te baisses sur la mousse, car je suis trop basse. "
La rosse en lissant son poil lui répondit :
" Je ne vais pas attendre que tu croisses,
Je me casse. "
En attendant que le ragoût de frison du Caucase cuise,
Le cousin de Mickey Mouse écoutait Yuja Wang sur des enceintes Bose
La viande rose est un poison, pensait-il.
Mais, distrait par la musique, il ne vit pas le temps passer.
La chose dans la cocotte s’embrase emplissant de fumée toute la case
Le ragoût était foutu.
" L’adoration, c’est la base de l’asservissement,
C’est la dernière fois que cette pianiste me baise.
Si jamais je la croise, je lui ferai payer sa ruse. "
Edmond Jabès
Analyse de texte
Monsieur Jabès a réécrit sa première fable en supprimant les S en doublons. En lisant ces histoires, nous voyons que la deuxième n’a aucun rapport avec la première. Monsieur Jabès a donc parfaitement réussi sa démonstration.
Nous constatons également que si les histoires sont différentes, leur tonalité générale est ac identique. Il s’agit d’histoires un peu tristes, un peu vulgaires et finissant mal. C regrettable, car je préfère les histoires qui finissent bien.
On peut donc conclure que la transformation d’histoire par détachement du S est homothétique pour la tonalité de l’histoire.
Peut-être aurait-il du faire une transformation apophatique en retirant les Q au lieu des S. Cela n’aurait nui en rien à la démonstration, mais il aurait rendu sa fable un peu moins vulgaire.
De la même manière, si au lieu de retirer les S, il avait rajouté des M, cela aurait rajouté de l’amour, donc du bonheur et la fin de son histoire aurait sans doute été plus heureuse.
Pour terminer, il faut dire que si le procédé de retranchement d’une lettre est intéressant, il doit être strictement limité. En effet, l’usage abusif du retranchement de lettres aboutirait à la suppression pure et simple de l’histoire.
01/20 Copie valorisée au poids du papier (poubelle jaune)
John Duff, août 2021
L’Agenda Ironique de juillet est hébergé par Victor Hugotte.
Le thème de l’agenda est la description de l’étape de la vie d’une personne ou un moment particulier en utilisant force onomatopées, répétitions, accumulations, voire quelques borborygmes.
Le covid de l’espoir
Quand l’épidémie de grippe asiatique a commencé à l’autre bout du monde, il n’y avait vraiment pas de quoi s’inquiéter. Ces gens étaient tellement loin, c’était plus des statistiques qu’un problème sanitaire. La distance anesthésie un peu notre humanité.
Quand l’épidémie est arrivée en Europe, pas de quoi s’inquiéter non plus. Elle est arrivée dans un pays du sud de l’Europe où l’incurie et la désorganisation étaient notoires. Il semblait naturel à tout le monde qu’ils n’arrivent pas à maîtriser la situation.
Quand l’épidémie a fait un premier mort chez nous, le gouvernement a aussitôt réagi. Il a jeté les stocks de masques en nous expliquant que, de toute façon, ils ne servaient à rien. Il a également fermé tous les parcs pour éviter qu’ils ne soient contaminés.
Mais, malgré ces mesures énergiques, l’épidémie de grippe asiatique a continué de progresser.
Et puis, ouf, des vaccins ont été créés et les vaccinations ont commencé.
Charité bien ordonnée commence par soi-même. Chaque pays a essayé de se procurer des doses pour se protéger et a fermé ses frontières pour laisser le virus dehors. Comme il n’y avait pas assez de vaccin pour tout le monde, les pays riches se sont vaccinés et les pays pauvres ont lutté de manière active contre la surpopulation planétaire.
Chacun sa merde...
Aïe, aïe, aïe !
Cela n’a pas du tout marché. Cette politique qui avait pourtant fait ses preuves pendant des siècles a montré ses limites.
En laissant le covid proliférer dans les pays du tiers-monde, des variants de plus en plus violents sont apparus. Au lieu de mourir en silence, ces pays nous ont refilé des bébés insensibles à nos vaccins. Diantre, ce n’était pas honnête.
Pourtant, quand le variant Δ est arrivé, rien n’était perdu. Si tous les états avaient coopéré pour vacciner toutes les populations. Banco ! On éradiquait le truc.
Au lieu de cela, les laboratoires et les états ont fait preuve de débrouillardise. On a continué à jouer perso.
Et toc, j’te nique ta cargaison de masques sur le tarmac de l’aéroport. Et crac, j’vends mes vaccins au plus offrants. Blam, j’livre un lot de vaccins avariés au tiers-monde.
Les réactions individuelles étaient souvent tout aussi incohérentes ou égoïstes. Ça disait :
" Bof ! Je ne me vaccine pas parce que c’est peut-être dangereux. " La maladie, elle, n’était pas dangereuse, elle n’était que mortelle.
Ou alors : je ne me vaccine pas et je laisse les autre se faire vacciner, comme cela, pas de risques pour moi et je bénéficierai de l’immunité collective. Ni vu ni connu je t’embrouille.
Ce qui n’était pas dit ouvertement, mais exprimé d’une manière plus nuancée :
" Holà ! Cette obligation de vaccination est une grave atteinte à ma liberté. "
Puis le variant Ω est arrivé. Lui était vraiment méchant, il avait perfectionné toutes les perversités que ses prédécesseurs avaient balbutiées.
Une période d’incubation de deux mois, quand on l’a identifié, il était déjà présent sur toute la planète. Une aptitude à rester en suspension dans l’air qui lui donnait une contagiosité décuplée et qui rendait inutile toute désinfection. Enfin et surtout, une mortalité qui aurait rendu jaloux les laboratoires d’armes bactériologiques chinois ou russe. Son agressivité le rendait mortel pour tous, même les jeunes.
Ouille, ouille, ouille.
Toutes les entreprises et toutes les organisations nationales se sont effondrées en quelques mois, les hôpitaux en premiers. Toutes les activités humaines se sont arrêtées. Les gens sont morts dans leur coin. Il n’y avait plus de journaux ni de télévision pour en parler, chacun était livré à lui-même.
Une brève période d’anarchie a suivi. À base de pillages, de vols et de meurtres de première nécessité.
" Pan.
- Aaargh.
- Miam, miam. "
Cela n’a pas duré très longtemps. Le calme est revenu. Il n’y avait plus personne.
Pourquoi je suis encore là ? Pfft ! Ma foi, je ne sais pas, mais le fait est que je suis toujours là. Je vis un moment unique que je ne pourrai raconter à personne. Je suis le dernier représentant de la race humaine encore vivant. Il n’y a plus d’électricité, mais j’ai réussi à récupérer un vieux lecteur de CD/DVD à pédales et quelques disques que je vais pouvoir écouter en boucle le temps qu’il me reste.
J’ai mis le premier CD
C’était le concerto de Schuman par Yuja Wang. Quelle force, quelle beauté !
lalalala-la lalala-la lalala-la
J’étais heureux que la parenthèse humaine se termine de si belle façon. D’un autre côté, je ne pouvais m’empêcher de me dire que c’était un peu dommage. Même si l’espèce humaine avait de nombreux mauvais côtés, je trouvais malheureux qu’une espèce capable de produire une si grande beauté disparaisse. Est-ce que nos bonnes actions nous définissent mieux que nos mauvaises actions ?
Je le crois sincèrement. Nos bonnes actions expriment notre volonté, nos mauvaises actions ne sont parfois que le fruit de notre paresse ou de notre lâcheté, elles ne reflètent pas forcément notre idéal.
Mais hélas, ce sont nos mauvaises actions qui tuent. Il ne nous a peut-être pas manqué grand-chose pour réussir à vivre tous ensemble.
POM POM POM POOOM POM
Le disque est fini, j’ai mis le DVD, c’était « La guerre des Mondes » tiré du roman de H. G. Wells.
J’avais déjà vu ce film plusieurs fois et, comme tout le monde, je m’étais assimilé aux gentils Terriens qui luttaient contre les méchants Martiens. J’ai réalisé que sur cette putain de terre, nous étions les Martiens qui avaient tout dévasté. Le covid était les microbes qui allaient libérer la terre de notre présence égoïste et prédatrice.
Nous avons l’habitude de considérer que l’apparition de la vie sur terre et son évolution vers l’être humain est unique, quasi miraculeuse. Il n’en est rien. L’évolution de la vie est une suite convergente qui s’est produite et qui se reproduira. Les mutations sont innombrables, mais seules celles qui produisent une forme de vie plus forte ou plus performante sont viables. Ces formes de vie plus fortes se développent mieux et finissent par dominer les formes plus frustres. Par ce phénomène la vie apparaît et évolue toujours vers des formes supérieures.
De la même manière, le covid a produit des variants plus forts et plus agressifs qui ont supplanté les formes du début de l’épidémie. Et qui ont au passage également liquidé les humains.
Un autre cycle de vie allait commencer. C’est normal.
Il a fallu 3,5 milliards d’années à la vie pour évoluer de la cyanobactérie vers l’être humain. On peut bien donner quelques centaines de millions d’années au covid pour qu’il évolue vers une forme de vie supérieure.
J’espère que les enfants du covid Ω feront mieux que nous. Qu’ils sauront vivre en harmonie, qu’ils préserveront la planète. Je leur souhaite tout le bonheur du monde.
Soudain, j’ai froid, je me suis mis à grelotter. Je n’ai plus mal à la tête, mais je me sens un peu oppressé.
" Keuf, keuf, keuf.
-…
- Pouic. "
John Duff, juillet 2021
L’Agenda Ironique de juin est hébergé par iotop.
Le thème de l’agenda est : langue. Il faudra utiliser les mots : insomniaque, chouette, frigoriste et narine.
La victoire de Julia
Je suis la princesse Julia, fille du roi Arnulf le Blanc. Jusqu’ici, mes activités étaient plus portées vers le piano que sur l’art de la guerre, mais demain je vais livrer ma première bataille.
Covidinov le Sombre convoite nos terres, il veut m’épouser pour s’en emparer. Devant mon refus, il a enlevé ma mère et réclame ma main comme rançon. Le roi mon père a décidé de lui faire payer avec son sang.
Nous combattrons demain, Dieu décidera du sort de notre royaume et du mien. J’ai reçu la lourde charge de remplacer ma mère pour la bataille. C’est une grande responsabilité, beaucoup de choses vont reposer sur moi.
1. e4 c5 ;
La bataille commence tout juste et je me sens déjà épuisée. Je ne suis pas insomniaque, mais je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Je repense en boucle aux conseils qui m’ont été prodigués. Je ne dois pas me jeter tête baissée dans la bataille, je serais harcelée par la piétaille et, au bout du compte, nous prendrions du retard dans notre développement.
2. Cf3 d6 ;
[Cf3] Les noirs nous opposent une défense sicilienne. Lahire, le chevalier qui commande notre aile-roi répond en prenant le pont f3. Nous avons eu la consigne, si cela était possible, de jouer la variante Najdorf.
3. d4 cxd4 ;
[cxd4] Première escarmouche entre fantassins pour la conquête de la butte centrale, notre premier soldat tombe dans le champ d4.
4. Cxd4 Cf6 ;
[Cxd4] Lahire rétablit la situation en embrochant l’agresseur. Je crains que la partie ne soit ouverte et qu’il n’y ait de nombreux morts. Si la Najdorf n’est pas possible, nous devrons peut-être transposer notre attaque dans la variante du gambit de Morra.
[Cf6] Covidinov répond en envoyant un chevalier en f6 pour attaquer notre infanterie. Il veut clairement occuper la butte au centre du champ de bataille pour paralyser nos déplacements.
5. Cc3 g6 ;
[Cc3] C’est au tour d’Hector, notre deuxième chevalier, d’entrer en jeu dans le gué c3.
[g6] Covidinov joue la variante du Dragon, ce n’était pas prévu, je n’aime pas du tout ça.
6. Fe3 Fg7 ;
7. f3 O-O ;
[O-O] Covidinov a roqué. Je m’y attendais, car il avait placé un archer en fianchetto. Quelque part, ce n’est pas forcément une mauvaise chose, on sait maintenant où il va se trouver pendant la bataille et on pourra concentrer nos attaques sur lui.
8. Dd2 Cc6 ;
[Dd2] Je me suis prudemment avancée dans le sous-bois pour mieux protéger notre infanterie et notre cavalerie.
[Cc6] C’était à prévoir, il lance sa cavalerie sur notre aile-dame.
9. Fc4 Cxd4 ;
[Fc4] Notre archer, Foublan, s’est déplacé pour avoir Covidinov directement dans sa ligne de mire.
[Cxd4] Notre chevalier Lahire vient de se faire surprendre par un cavalier noir, mort au champ d’honneur.
10. Fxd4 Fe6 ;
[Fxd4] Dans ce genre de bataille, il faut appliquer la loi du Talion : œil pour œil, dent pour dent, j’ajouterais nez pour nez et même narine pour narine. Foublan épingle le cavalier noir en d4. Nous avons maintenant nos deux archers qui pointent leurs flèches sur Covidinov
11. Fb3 Da5 ;
[Da5] Alerte ! La Grosse Berta vient de bouger. La Grosse Berta, c’est la reine noire. Elle ne se déplace jamais pour rien, notre aile-dame va se trouver sacrément sous pression. Il faut qu’Arnulf se mette à l’abri en faisant le petit roque à dextre [O-O].
12. O-O-O b5 ;
[O-O-O ?] Mon Dieu, papa vient de faire exactement le contraire, il a fait le grand roque à senestre !
Il vient de se placer tout seul sous le feu de la Grosse Berta. Une sueur glacée me coule dans le dos.
[b5] La réponse des noirs est immédiate. Les fantassins noirs soutenus par la Grosse Berta se ruent sur papa.
13. Rb1 b4 ;
[Rb1] Arnulf s’est mis à l’abri derrière sa garde rapprochée, mais nos forces sont dispersées sur tout le champ de bataille, elles vont avoir du mal à le soutenir.
[b4] Nous ne pouvons qu’assister impuissants à l’avancée des fantassins noirs qui se rapprochent rapidement. Ils menacent maintenant également le chevalier Hector.
14. Cd5 Fxd5 ;
[Cd5] Hector a voulu s’abriter en d5.
[Fxd5] Il s’est aussitôt fait transpercer par un archer noir. Le roi Arnulf est aussi dans sa ligne de visée.
15. Fxd5 Tac8 ;
[Fxd5] Foublan a abattu à son tour l’archer noir, mais ce faisant, il s’est dangereusement éloigné de la défense d’Arnulf.
[Tac8] Ils ont installé une tour qui prend en enfilade la route ouverte c qui mène à nos positions. Il n’y a plus qu’un soldat pour défendre notre roi.
16. Fb3 Tc7 ;
[Fb3] J’ai dit à Foublan de revenir immédiatement défendre nos arrières. La situation ne s’est pas du tout améliorée.
[Tc7] Ils vont essayer d’amener une deuxième tour sur la route c, l’étau se resserre.
17. h4 Db5 ;
[h4 ? ] Que fait ce soldat blanc à l’autre bout du champ de bataille ? Je le connais, c’est Jacquot Lang, c’est un chouette gars. Les gens se moquent gentiment de lui à cause de son cheveu sur la langue. Là, il n’a rien compris, alors que nous sommes submergés par un raz de marée noir, il part tout seul à l’assaut de la forteresse noire. Tant pis pour lui, qu’il se débrouille, nous n’avons pas les moyens de le secourir.
[Db5] Dans la vraie vie, ça va mal, très mal. La grosse Berta s’est installée en face d’Arnulf et rassemble toute l’infanterie devant la garde du roi.
18. h5 Tfc8 ;
[h5] Et Jacquot qui continue tout seul son attaque, c’est dérisoire.
[Tfc8] Ça y est, il a doublé ses deux tours sur la route c. Il y a la Grosse Berta, les deux tours, un archer et l’infanterie noire pointés en même temps sur notre roi. La situation est tellement catastrophique qu’il ne me reste plus qu’à fermer les yeux et prier.
19. hxg6 hxg6 ;
[hxg6] Jacquot a été jusqu’au bout de son idée. Après avoir traversé tout le champ de bataille, il s’est sacrifié en abattant le soldat noir g de la défense de Covidinov.
[hxg6] Il s’est aussitôt fait tuer. Mais son sacrifice n’a peut-être pas été vain. En déviant de sa place un défenseur du roi noir, il a réussi à ouvrir le chemin h.
20. g4 a5 ;
[g4] Jacquot a fait un émule, c’est son cousin germain Frite Lang qui part à son tour à l’assaut du roque noir. Je connais Frite aussi, il est vif, rigoriste, mais le cœur sur la main.
[a5] Toute l’infanterie noire est en place, nos jours sont comptés.
21. g5 Ch5 ;
[g5] Frite est parvenu jusqu’à la garde rapprochée de Covidinov, il attaque un chevalier noir.
[Ch5] Celui-ci esquive l’attaque en h5. Je pense que cette attaque est également vouée à l’échec, je ne vois pas ce que l’on peut faire.
22. TxCh5 gxh5 ;
[TxCh5 ? ] Notre tour a pris le chevalier noir, quelle erreur ! Elle va se faire abattre par un soldat noir et on perd la qualité. On échange une des plus fortes de nos pièces contre un obscur fantassin.
[gXh5] Notre tour brûle.
Et puis... J’ai compris.
J’ai pleuré. Notre tour s’était sacrifiée pour ouvrir le passage à Frite. C’était admirable d’intelligence et d’abnégation.
23. g6 e5 ;
[g6] Grâce au sacrifice de la tour, Frite est parvenu jusqu’à la garde rapprochée de Covidinov.
[e5] Je crois Covidinov s’est laissé surprendre par l’attaque de nos soldats et le sacrifice de la tour. Il a envoyé un fantassin en e5 pour stopper la pression qu’exerçait de loin Founoir sur ses positions.
24. gxf7+ Rf8 ;
[gxf7+] Frite a profité du temps gagné pour faire sauter le soldat noir de la défense de Covidinov. Soutenu à distance par Foublan, il l’a mis en échec.
[Rf8] Covidinov est coincé au bout du terrain. Il ne peut plus qu’espérer le retour de son armée pour lui venir en aide.
25. Fe3 d5 ;
[Fe3] Founoir est venu me voir, il me propose de lancer une attaque par le vallon [c1h6]. Par ce passage, nous pouvons atteindre l’archer noir et derrière lui le roi.
[d5] Covidinov essaye d’anéantir notre attaque en coupant le soutien de Frite par Foublan.
26. exd5 Txf7 ;
[Txf7] La tour noire a pulvérisé Frite et s’est mise en protection de Covidinov. Mais le sacrifice de Frite a inversé le rapport de force, nous avons maintenant une attaque de feu.
27. d6 Tf6 ;
28. Fg5 Db7 ;
[Fg5] Founoir attaque directement la tour noire, mais Covidinov doit faire face à tellement de menaces qu’il ne peut la défendre.
[Db7] Covidinov rappelle la Grosse Berta en défense.
29. Fxf6 Fxf6 ;
[Fxf6] La tour noire est prise sans coup férir par Founoir.
[Fxf6] J’ai parlé trop vite, c’est fini pour Founoir aussi.
30. d7 Td8 ;
31. Dd6+ 1-0
[Dd6+] C’est à moi qu’est revenu l’honneur de porter le coup de grâce, échec au roi ! Covidinov n’a plus de case de fuite, le chemin [a2-g8] est contrôlée par Foublan, il ne peut se sauver par le bois g qui est surveillé par notre tour.
Covidinov abandonne.
Notre reine, ma mère, a été délivrée. Nous avons organisé un grand banquet pour fêter tout cela. Un troubadour a même écrit une chanson en mon honneur : La victoire de Julia.
Mais moi, je sais qu’il n’en est rien. Je sais que mon rôle a été tout à fait mineur dans cette bataille. Je voudrais aujourd’hui rendre hommage aux véritables héros.
À Jacquot qui est parti tout seul à l’abordage de l’armée ennemie et qui a remis tout le monde sur le droit chemin. Il nous a rappelé que même quand tout semble perdu, il faut toujours espérer et continuer de se battre.
À notre tour qui s’est sacrifiée pour Frite, un soldat qui avait un grade dix fois inférieur au sien. Elle lui a ouvert le passage jusqu’au roi noir. Elle nous a rappelé que la valeur du collectif est toujours supérieure à la somme des valeurs individuelles.
À Frite qui s’est sacrifié au cœur de la défense noire pour coincer Covidinov et me permettre mon attaque finale.
À Founoir, à Foublan, à Hector, à Lahire, à tous les soldats tombés dans le combat, mais sans qui la victoire finale n’aurait pas pu être possible.
Merci à eux tous
John Duff juin 2021
Librement inspiré de la partie Fischer vs Larsen au tournoi de Portoroz en 1958, si vous êtes intéressé la vraie partie est ici.
L’Agenda Ironique du mois de mai est hébergé par Palette d’expressions.
Le challenge est d’écrire un texte sur « Un bruit étrange et beau » en utilisant les mots : cyclo-pousse, île et poirier.
Quand j’ai découvert le sujet de l’agenda de mai, pour parler comme les jeun’s, j’étais trop content.
Le thème : Un bruit étrange et beau, trop facile !
Je vais évidemment vous parler de mon artiste préférée, Yuja Wang, la meilleure pianiste du monde !
Mon seul problème est de savoir quel morceau je vais choisir. Moi, j’adore toutes ses interprétations, je les trouve toutes plus extraordinaires les unes que les autres. Mais quel morceau choisir pour convaincre un non-initié ?
Ce sera mon vrai défi. Le plaisir du passionné est souvent plus fort à faire découvrir sa passion à un profane plutôt que de la partager avec d’autres fanatiques.
J’ai donc commencé à sélectionner quelques morceaux qui me paraissaient en adéquation avec cet objectif : du pétillant, du profond, du virtuose, du violent...
Cliquer sur la Yuja que vous préférez
Et soudain, j’ai été pris par un doute.
Un bruit étrange et beau ?
Est-ce que je peux vraiment employer le mot bruit pour parler de la musique de Yuja ? Ce mot a une connotation négative qui ne s’allie pas du tout avec le divin.
Est-ce que je peux utiliser le mot étrange pour parler de la musique de Yuja ? Sa musique n’est pas à proprement parler étrange. Elle est virtuose, exaltée, sensible, sublime - mais pas étrange.
Est-ce que je peux utiliser le mot beau pour parler de la musique de Yuja ? J’aurais pu il y a trente ans, mais ce mot a été complètement dévalué par un glissement sémantique. Ce qui était « beau » il y a trente ans est devenu « génial » il y a vingt ans et carrément " mortel " il y en a dix. Aujourd’hui, il faut dire : djomb, déclassé, archi ou dar.
Je me refuse à dire que Yuja est djomb ou déclassée.
Alors, j’ai analysé ma proposition.
En quantitatif, sur les cinq mots du défi, si je retire bruit, étrange et beau, il m’en reste deux qui peuvent concourir, Un et et, soit un challenge réussi au mieux à 40 %, pas terrible.
En qualitatif, c’est pire. Les deux mots qu’il me reste sont un pronom indéfini et une conjonction de coordination. Ces mots ne portent en aucune façon le sens du challenge de l’agenda.
La mort dans l’âme, j’ai donc dû me séparer de Yuja. J’ai décidé de revoir mes ambitions à la baisse et de me contenter d’un texte qui ne respectait que deux des trois points du défi.
Étrange et beau
Je vais simplement essayer de trouver une personne ou un objet étrange et beau. Cela doit pouvoir se trouver une beauté étrange.
Un bel étranger ? Trop facile.
Pourquoi pas la Rafflesia arnoldii, la plus grande fleur du monde.
Moi, je trouve cette fleur très chouette, mais certains esprits chagrins risquent de me dire qu’elle n’est pas belle. Qu’elle est seulement très grande, voire un peu pataude.
Qui à raison ? Est-ce que je la garde parce qu’elle me plait et tant pis pour les lecteurs grincheux ou est-ce que je fais un deuxième choix qui me satisfera moins, mais qui sera plus consensuel ?
Posé comme cela, j’entends déjà votre réponse claire et nette : " Ne vends pas ton âme, ne fais pas d’entorse à ta création littéraire, ce commercial racoleur est indigne de toi ! "
Mais votre réponse ne me convient pas non plus. Si j’ai envie de faire plaisir aux gens, si j’ai envie qu’ils sourient en me lisant, pourquoi me forcer à utiliser des mots dont je sais qu’ils ne seront pas reçus ?
J’ai donc laissé tomber la Rafflesia arnoldii.
Et si je prenais comme sujet une aurore boréale ?
C’est majestueux, c’est planant. C’est donc à la fois
profondément beau et bougrement étrange. Mais j’ai tout de suite vu que ce n’était pas possible non plus.
Pourquoi me direz-vous. Mais à cause des mots obligatoires que Palette d’expressions nous a collé dans les pattes. Une aurore boréale n’a rien à voir, ni avec les cyclo-pousses, ni avec les îles, ni avec les poiriers. C’est (trop) rageant !
J’ai fait un dernier essai avec le dragon du Komodo.
Ça aurait pu. Cet animal est vraiment très étrange. Il n’est pas franchement beau, mais il dégage de la sympathie. Mais je dois y renoncer également. Ce gros lézard ressemble trop à Donald Trump, cela créerait à coup sûr des polémiques.
Bon, je vais réduire encore la voilure. Je ne vais garder qu’un seul concept du challenge initial. Si je le fais très bien, cela peut compenser les contraintes manquantes.
Un bruit
Je vais juste choisir un bruit. Pourquoi-pas celui du marteau-piqueur. Son bruit n’est pas étrange, il n’est pas beau non plus, mais comme j’ai décidé de faire l’impasse sur ces deux contraintes, ce n’est pas grave. Par contre, cet engin est vraiment très bruyant, j’aurai peut-être un bonus pour les décibels.
Bon, vous en pensez quoi ? On est à cent pour cent dans l’aspect bruit du challenge, mais honnêtement, cela fait un peu mal aux oreilles. Je ne peux pas décemment présenter une vidéo de marteau-piqueur à l’agenda ironique. Je vais me faire lyncher.
Décidément, l’affaire est mal engagée. J’ai l’impression que plus j’avance, plus je m’enlise. Cet agenda n’était pas si facile que cela, je vais sans doute laisser tomber, on verra si ce qu’on nous propose en juin est plus inspirant, bof.
- Bof ?
Mais pourquoi pas bof après tout ? Et si mon agenda ironique de mai était simplement :
- Bof.
Bof, une onomatopée, un mot, un son, un bruit. Je trouve ce petit mot joli et mélodieux comme une bulle de champagne. Quant à son étrangeté, c’est bien simple, personne n’en connaît l’origine.
Je n’aurai pas le bonus des décibels mais j’aurai peut-être celui de la concision.
John Duff, mai 2021
L’Agenda Ironique du mois d’avril est hébergé par Des Arts et Des Mots.
Son sujet est de faire un dialogue en y intégrant la phrase Cause toujours, tu m’intéresses, quelques anagrammes, boutades, homophonies, voire un marabout ou un trompe-oreilles et une citation.
L’agenda d’avril
" Alors Ioula, as-tu une idée pour l’agenda ironique d’avril ?
- Oui, j’ai commencé un haïku, dis-moi ce que tu en penses :
Communication
Cause toujours tu m’intéresses
C’est une infection.
- Oui, c’est pas mal, mais tu as oublié l’anagramme, la citation et pas mal d’autres choses.
- Je sais bien, je n’ai pas pu tout mettre. Mon haïku il est plein, archi-plein comme le coffre de ma voiture quand je pars en vacances.
- C’est vrai qu’on n’a pas été aidé avec les consignes, ce mois-ci. Cet Agenda est quasiment infaisable !
- Et si on mettait deux haïkus bout à bout, tu crois que ça passerait les contrôles de conformité ?
- Je ne sais pas. De toute façon, si on nous fait une remarque, on pourra toujours dire qu’on ne savait pas.
- Bon, d’accord, c’est adopté. Pour résumer, tout ce qu’on ne peut pas mettre dans le premier on le met dans le deuxième et ce qui ne rentre pas dans le deuxième, on le fourre dans le premier.
- Oui, c’est ça. Ces deux haïkus sont le fourrage l’un de l’autre. Et toi, Gibulette, tu as écrit quelque chose ?
- J’ai fait une homophonie de printemps :
Un taon se détend
un instant en écoutant
Sylvie Vartan
- Oui, ça sonne bien. Voyons maintenant pour le trompe-oreilles. Tu sais ce que c’est, toi, un trompe-oreilles ? Moi, je l’ignore complètement.
- Moi non plus, je connais les trompes d’éléphants, les trompettes de la mort, mais pas les trompe-oreilles.
- Attend, je vais demander au monsieur assis à la table derrière.
- Monsieur
-...
- Monsieur !
-...
- Il est sourd ou il ne comprend pas !
- Regarde, il a pris un café turc, il est peut-être turc, appelle-le dans sa langue natale.
- Mösyö, kıvrılacağım
-...
- C’est pas ça, mais j’ai une autre idée. Il a mangé une mandarine à son dessert, je mets ma main au feu que c’est un mandarin, appelle-le en chinois.
- 请先生
-...
- Toujours pas ça, à mon tour d’essayer. Découvrir la nationalité des gens, c’est une question d’observation. As-tu remarqué que sa chaise n’est pas tout à fait en face de la table. Si elle est décalée vers la Mecque, cela peut vouloir dire qu’il est arabe. Je vais essayer dans cette langue.
- سيد من فضلك
-...
- Encore raté. Il est peut-être simplement dans la lune, il s’est endormi dans le " Lac des Songes " ? Je vais le ramener sur terre.
- ☽ ☾ ○ ⛥ ⛥ ☽ ☽◯⭘○
-... "
Le monsieur sembla soudain bouger. Il poussa un grand soupir et se tourna vers Ioula et Gibulette.
" Mesdames, je vois que je ne pourrai décidément pas faire ma séance de méditation postprandiale avant de vous avoir satisfaites. Que voulez-vous savoir ?
- Désolé de vous déranger monsieur, mais mon amie et moi, nous participons à un concours d’écriture. On doit inclure dans notre texte un trompe-oreilles et nous n’avons pas la moindre idée de ce que cela peut être.
- Rassurez-vous, ce n’est pas compliqué. C’est juste un texte dont la dispersion de l’écart-type des allitérations est très faible. Pour fixer les idées, je dirais qu’avec un coefficient de variation de 5 %, votre trompe-oreilles est excellent, à 10 % il est encore très bon. S’il tombe en dessous de 50 %, il est complètement pourri, on le déclasse alors directement en rime simple.
À mon tour de vous poser une question, c’est quoi votre jeu-concours exactement ?
- Tout d’abord monsieur, merci beaucoup pour votre aide. Pour notre jeu, c’est très simple, tous les mois un blogueur décide d’un thème et de quelques contraintes stylistiques et tous les blogueurs qui le souhaitent proposent un texte. En fin de mois, tous ceux qui le souhaitent votent pour le ou les textes qu’ils préfèrent.
- Et ça paye ?
- Pas vraiment, mais ce n’est pas le but. Venez partager avec nous notre tarte aux pommes vertes, jaunes et rouges, on va vous montrer ce qu’on a déjà fait. "
Le monsieur vint s’assoir à la table des filles et l’on fit les présentations. Il s’appelait Arnoldo Poivrieri. On le surnommait assez injustement " Dodo le paresseux " à cause de son métier de testeur de matelas. Gibulette était une professeure de français, Ioula une harpiste irlandaise. Ensuite, on lui détailla les consignes du mois et Ioula fit un résumé de la situation :
" Pour l’instant on a deux haïkus, un avec la phrase " Cause toujours tu m’intéresses " et l’autre avec une homophonie de printemps, on séchait un peu pour le trompe-oreilles.
- Pour votre trompe-oreilles, je vous propose :
Ô taons, tiques ; authentiques hôtes antiques "
Gibulette sortit sa calculette et entreprit de calculer l’écart-type et le coefficient de variation du trompe-oreilles. Pendant ce temps, Ioula et Arnoldo finirent la tarte aux trois pommes. Ils papotèrent sur des riens, Arnoldo lui expliqua l’importance d’être bien éveillé dans son métier, Ioula lui parla de musique, de la beauté de son île natale, l’Irlande.
Au bout de quelques minutes, Gibulette s’exclama :
" Sept pour cent, ça passe nickel !
- Super, dit Arnoldo, mais je voudrais revenir sur votre deuxième haïku, je crois qu’on a un autre problème.
- Qu’est-ce qui ne va pas ?
- C’est Sylvie Vartan, elle a un pied bot. Et il épela le dernier vers : [Syl] [vie] [Var] [tan], il n’y a que quatre pieds au lieu de cinq.
- Zut alors !
- C’est pas bien grave, on va rectifier ça, je vous propose de mettre :
Le taon se détend
Entendant Sylvie Vartan
Chantant au printemps.
- Je crois qu’on a presque tout mis, dis Ioula, plus qu’un haïku à faire pour l’anagramme.
- On devrait le mettre dans le titre, dis Gibulette, comme ça, ça nous évitera d’avoir trop d’haïkus à la suite comme un convoi de péniches.
- Tu as raison, répondit Arnoldo, un haïku ça ne doit pas ressembler à " La légende des siècles ".
C’est Ioula qui trouva le titre et son anagramme. Comme elle était musicienne, elle n’avait pas pu s’empêcher d’en faire un en rapport avec son art :
" On jodle, art aimé " avec comme anagramme " Ma jolie tornade "
" Je pense qu’on a fini, dis Gibulette, il ne reste plus qu’à tout mettre ensemble, dans quel ordre on les met ?
- Et si on intercalait le trompe-oreilles dans les haïkus, proposa Arnoldo,
- Tu as raison, dis Ioula, après tout " Des Arts et des Mots " n’a pas expressément interdit de faire une lasagne littéraire. Tout ce qui n’est pas interdit est permis, cela donnerait :
On jodle, art aimé (Ma jolie tornade)
Par Gibulette, Ioula et Arnoldo
La
Communication,
C’est une infection
Authentique.
Ô taons, tiques !
Le taon se détend
Entendant Sylvie Vartan,
Antique hôtesse,
Chantant au printemps :
" Cause toujours tu m’intéresses "
Amis lecteurs, la production de Gibulette, Ioula et Arnoldo s’arrête ici.
Il y a peu de chance qu’ils gagnent quoi que ce soit car, il faut bien le reconnaître, leur production est un peu bancale. Mais cela n’a pas d’importance car ils se sont rencontrés, ils ont causé et ils se sont bien amusés. Et comme disait Pierre de Coubertin : " L’important n’est pas de gagner mais de participer. "
Je me demande si Arnoldo s’est aperçu que l’anagramme de Ioula avait une troisième signification : Arnoldo, je t’aime.
John Duff
Poème écrit le 15/03/2021 pour Iotop dans le cadre de son Challenge Lune.
En hommage à Alisha
La mer des humeurs
Dis-moi quelle est l’odeur des poussières sidérales,
Qui se fracassent sans fin dans ton monde minéral ?
Déjà cinquante ans que t’ont quitté les ricains,
Mais sur six cents millions d’années, c’est moins que rien.
Mer des humeurs, qui te rend si triste dans le ciel ?
Tu crois pleurer seule. Moi, toutes les nuits, je te vois.
Tes larmes de pierre immobiles font mon désarroi.
Trouves-tu aussi les hommes sur terre artificiels ?
« Lacus Mortis », je compatis à ta souffrance,
Nous tombons dans l’abîme, avons gâché nos chances.
Le soleil te réchauffe, pas le cœur des terriens.
Ton éclatant silence, c’est pour nos hérésies,
Une mauvaise humeur, un regard, une jalousie.
Les enfants se tuent sur terre, comme ça, pour rien.
John Duff, mars 2021
L’Agenda Ironique de février est hébergé par Frog.
Son sujet est " Hydres et Chimères " : Raconter l’histoire d’un dragon qui doit s’emparer de quelqu’un ou quelque chose sans utiliser la violence. Utiliser les mots : baragouin, buffle et méphitique.
L’extinction des feux
Nous autres les dragons, notre réputation est très surfaite. On nous imagine toujours royal, survolant le monde, crachant des flammes gigantesques ou renversant le moindre obstacle d’un battement d’aile.
La vérité est tout autre, avec l’âge, nos flammes sont moins fortes, les temps de rechargement s’allongent, on vole moins haut et moins souvent.
Pour parler simplement, il y a 300 ans j’étais jeune et je mangeais ma viande « bien cuite » ; il y a encore 200 ans, je la mangeais « à point » ; depuis 100 ans, je la mange « saignante » . Le dernier humain que j’ai mangé, il était tout juste « bleu » (et encore je pense que c’était plus dû à la peur qu’au manque de cuisson).
Il faut que vous sachiez aussi que nous, les dragons, nous avons des dents spéciales sur les maxillaires inférieures et supérieures qui, lorsque l’on claque des dents, font des étincelles. Si vous claquez des dents avec une haleine avinée et méphitique... ça brûle.
Donc ce préambule pour que vous compreniez la mésaventure qui m’est arrivée récemment.
J’étais en train de siroter une petite Mort Subite quand une racaille me déboule sous les naseaux en hurlant :
« Donne-moi ton fric ou je te fume ! »
Classique, un vendeur-de-beuh-arracheur-de-sacs-à-main-voleur-de-vélos qui veut tester sa virilité. « Je vais le cramer » , je me dis. Donc je finis ma bière, je prends une profonde inspiration, je claque des dents et... rien du tout, pas même une flammèche. J’avais ce qu’on appelle chez nous une " extinction des feux " .
« Zut, je me dis, il faut que j’aille voir mon pyrologue. Je vais simplement l’effrayer pour le faire fuir. » Je lui lance le premier baragouin qui me passe par la tête :
« Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? Tu seras châtié de ta témérité. »
Je sais bien, cette réplique n’est pas de moi, je l’avais entendue dans un dessin animé. Je pensais l’avoir calmé mais ce couillon me répond :
« Sire, Que votre Majesté ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je vendais ma beuh plus de vingt pas au-dessous d’elle,
Et que par conséquent, en aucune façon, Je ne puis troubler sa boisson. »
C’était mot pour mot la réplique suivante du dessin animé. Il l’avait vu aussi et se moquait de moi. J’étais un peu désemparé.
Je n’ai pas eu le temps de me poser des questions très longtemps. Il a sorti une bombe lacrymogène et un extincteur et les deux jets croisés m’ont mis hors de combat instantanément.
« Le fric tout de suite, il a encore hurlé.
- je n’ai rien ici, j’ai dit.
- Il est où ?
- Je le laisse chez ma copine Ioula.
- Elle habite où ? On va y aller. »
Il monte sur mon dos et nous voilà parti chez ma copine.
Ioula a tout de suite vu que quelque chose n’allait pas et que si elle essayait de griller mon assaillant cela se passerait très mal pour moi.
« Où est le fric ! a-t-il encore hurlé, il manquait vraiment de vocabulaire.
- Dans le piano, elle a répondu.
- OK, allons le chercher. »
Le piano était dans une pièce insonorisée par des peaux de buffles posées au sol et tendues sur les murs. C’était un piano très large, faisant plus de vingt octaves. Il avait un cadre en fer encastré directement dans la roche. Vous autres, pauvres humains, vous nous appelez des bêtes mais vous n’êtes pas capable d’apprécier une ligne de basse aux infrasons dans les 10 Hz ou une délicate aria aux ultrasons au-dessus de 200 000 Hz.
« Comment ouvrir le piano ? il a encore dit.
- Il faut taper un code sur le clavier.
- Tape-le et ouvre ce piano. »
Ioula tapa le code. Le couvercle du piano s’ouvrit découvrant une rangée de cordes s’enfonçant loin dans la montagne. Mais elle ne s’arrêta pas de jouer.
Au bout de trois notes, il s’était figé au milieu de la pièce et semblait en apnée.
Ioula continua, après quelques minutes, elle commença à battre des ailes créant une brise dans la pièce. Celle-ci se transforma rapidement en un sirocco qu’elle dirigea directement sur le piano. Les cordes furent prises d’une nouvelle vibration, une seconde mélodie se superposa à la première. C’était d’une beauté insoutenable !
Notre agresseur était complètement amorphe. Son système nerveux n’avait pas supporté ces sons grandioses et il semblait se liquéfier.
Ioula commença à cracher des flammes sur le piano. Celui-ci prit des couleurs rouge sombre, jaune, par endroits blanc éclatant. Ces effets de chaleur distendaient le cadre et les cordes et donnaient des effets de pédale wah-wah du plus joli effet.
Je fermais les yeux, elle ne jouait plus que pour nous deux.
Au bout de quelque temps, lorsqu’elle arrêta de jouer, nous avions presque oublié notre drôle. Je me suis retourné pour voir où il était. Il avait fondu et il ne restait plus de lui qu’une petite flaque qui ne sentait pas très bon.
« Ouvre la fenêtre, j’ai dit à Ioula, ça sent la beuh. »
John Duff
L’Agenda Ironique de janvier 2021 hégergé par Carnets Paresseux.
Son sujet : Dans un texte en sept parties, découvrir une ville étrangère. Utiliser les mots : Onésime et réverbère.
La semaine qui a changé ma vie
Lundi
Après avoir perdu les élections, j’étais épuisé. Trois mois d’une campagne harassante et tout ça pour rien, j’avais quand même perdu ! Quand j’y pense, c’était tout de même malheureux. J’avais réussi à faire voter tous les cimetières de la région et pourtant ce sacré Bidet était parvenu à bourrer les urnes plus que moi !
Il fallait vraiment que j’aille me reposer...
J’avais d’abord pensé partir à Saint-Remy-en-Bouzemont-Saint-Genest-et-Isson mais je connaissais trop de monde là-bas, je préférais m’isoler.
J’ai ensuite envisagé d’aller à Saint-Germain-de-Tallevende-la-Lande-Vaumont mais la météo y était trop incertaine.
J’ai également pensé me reposer à Beaujeu-Saint-Vallier-Pierrejux-et-Quitteu mais les congères d’artichauts sont très fréquentes dans cette région en janvier.
Finalement mon choix s’est porté sur le petit village d’Y dans la Somme. Je me suis dit qu’en plus cela me ferait gagner du temps dans la rédaction d’un ordre de réexpédition pour mon courrier.
Mardi
Je suis arrivé à l’auberge où j’allais résider quelques jours. Je me suis renseigné auprès du bistrotier pour savoir s’il y avait des choses à voir dans le village : « Mon bon monsieur, ici c’est la campagne. À part l’église et descendre la rue principale, vous aurez vite fait le tour. Mais vous avez de la chance, il y a en ce moment une exposition dans la salle des fêtes ».
Mercredi
Aujourd’hui, j’ai visité l’église d’Y, jolie petite église. Malheureusement, elle a à moitié brûlé dans un incendie l’année dernière. Le clocher est tombé mais elle reste très jolie. Trois arches avec au-dessus une petite rosace entourée de deux tourettes carrées.
Je rentre dans l’église. Coïncidence, je n’ai pas fait trois pas qu’une délicate mélodie d’orgue charme mes oreilles. D’abord, je pense qu’elle est enregistrée, mais je m’aperçois qu’elle vient d’un orgue caché dans la pénombre. Mes yeux s’habituant à l’obscurité j’arrive à discerner, au-dessus de l’orgue, le sommet d’une tête. Des cheveux noirs qui se balancent au rythme de la musique. Je m’assieds pour écouter...
Au bout d’une heure la musique s’arrête et je vois une petite asiatique se lever, prendre ses affaires et sortir rapidement. Le temps de réagir et d’arriver au portail, trop tard, elle a disparu ! Dommage, j’aurais bien aimé lui parler.
Jeudi
Aujourd’hui j’ai descendu la rue principale du village, elle est plutôt agréable. Dans le haut, un grand bâtiment carré au toit plat et sans murs, plein de courants d’air. Sur la droite, une pharmacie dont le nom est bizarrement écrit en anglais, sur la gauche une salle de cinéma, sur la droite un restaurant avec des parapluies rouges sur sa terrasse, des boutiques de prêt-à-porter. En bas de la rue, un grand bâtiment avec un drapeau-dessus et un gendarme devant, sans doute la mairie ou un bâtiment administratif. La rue se termine sur une place ronde avec au milieu un monument pointu à la gloire de je ne sais qui. Derrière ce monument il doit y avoir une foire car je vois une grande roue qui dépasse. J’irai voir demain.
La petite organiste que j’ai entendu hier me chantonne dans la tête.
Vendredi
Comme prévu je suis allé voir la foire. Derrière les manèges des gens sont rassemblés sur une place pour écouter une fanfare. En son milieu, un kiosque en pierres blanches avec une date : 5 janvier 1875. Le kiosque est couvert par une coupole verte et deux petites statues dorées de chaque côté. Des petits rats blancs courent dans les trous du muret formant la base de l’édifice.
Un concert est commencé, quelques instruments : caisse claire, trompette, trombone et un vieux piano. J’ai un choc ! Ma petite organiste s’est muée en pianiste.
Je m’assieds sur une chaise et je décolle. Les instruments s’estompent pour ne laisser que le piano. Nos yeux se croisent et elle soutient les miens, j’ai même le sentiment qu’elle me sourit.
Le concert terminé je voudrais lui parler mais il y a trop de monde. J’arrive quand même à l’approcher et la félicite pour sa prestation. Je lui dis que j’aimerais la revoir, elle me répond qu’elle ira demain voir l’exposition de la salle des fêtes. Nous convenons d’un rendez-vous sous le réverbère à côté de la salle.
Samedi
À l’heure dite, j’étais sous le réverbère, avec une boîte de chocolats pour faire bonne figure. Ma petite asiatique arriva, nous prîmes des tickets dans une tente pyramidale transparente montée devant la salle des fêtes. L’exposition était assez chouette, des peintures, des portraits, je remarquais en particulier une dame qui me regardait avec un regard indéfinissable, d’autres tableaux dont un radeau qui nous médusa. Il y avait également des statues, je découvris une déesse Aphrodite qui aurait pu être extraordinaire mais qui malheureusement avait perdu ses bras.
Elle me raconta sa vie, elle s’appelait Ioula, était chinoise, née sur un boat people et arrivée en France très jeune. Elle avait été placée puis adoptée par une famille ypsilonienne. Son oncle, Onésime Graffman lui avait appris le piano.
Nous avons remonté la rue principale et mangé dans un petit restaurant, le " Georg’vé ". Nous avons ensuite continué notre visite d’Y " by night ". De l’autre côté de la rue se trouvait un routier, le " Lit d’en haut ". La façade était étroite mais bien éclairée, les murs étaient décorés de posters de femmes assez dénudées. Il semblait y régner une bonne ambiance et nous avons décidé d’y passer le reste de la soirée. Je n’ai pas du tout prêté attention aux serveuses pourtant très aguichantes.
Ces quelques heures furent pour moi les plus belles de ma vie.
Dimanche
Quand je me suis réveillé, Ioula n’était plus là, il pleuvait sur Y, je devais rentrer travailler.
À quoi tiennent les choses, Ioula est devenue une grande artiste internationale. Moi, j’ai abandonné depuis longtemps la politique. Bien que vingt ans se soient passés, Ioula est toujours restée dans mon coeur.
Souvent le monde est petit et étriqué mais notre cœur peut être énorme.
John Duff
l’Agenda Ironique de décembre 2020
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine,
Les fakes news, les mensonges, l’égoïsme, la tromperie,
Ce archer de Trump qui dirige les États-Unis,
Quand la bassesse s’élève au rang de capitaine.
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine ?
Ange plein de santé, connaissez-vous le COVID,
Les Raoult, Salomon, les Pfizer et Véran,
Et cette sensation que partout on nous ment,
Et ces morts par milliers dans les EHPAD qu’on vide,
Ange plein de santé, connaissez-vous le COVID ?
Ange plein de pureté, as-tu mis ta crit’air,
Gaz de schiste, Monsanto, quand partout la mer monte,
La Terre qui s’écroule et les états n’ont pas honte,
Nos sauveurs sont des ayatollahs doctrinaires,
Ange plein de pureté, as-tu mis ta crit’air ?
Ange plein de grandeur, ben qu’est-ce qu’y s’passe à Paris ?
Arrêtez d’nous causer d’régionalisme, faite-le enfin
Et comme on dit dans l’nord : « cre vin dieu la marie,
Freume tin chucrier, ches mouques y vont rintrer d’dins ».
Ange plein de grandeur, ben qu’est-qu’y s’passe à Paris ?
Ange plein de bonheur, enfin deux mille vingt-et-un,
J’irai au concert, ciné et à l’opéra,
Je pourrai enfin voir sur scène la belle Yuja,
Annus horribilis c’est maintenant ta fin,
Ange plein de bonheur, enfin deux mille vingt-et-un !
John Duff